Trois jours d'opérations ont permis de localiser précisément le site où plusieurs dizaines de soldats allemands seraient ensevelis depuis la Première guerre mondiale. Pour autant, les lieux n'ont pu être explorés et aucun corps n'a été repéré et exhumé à ce stade.
Les moyens engagés étaient importants : une cinquantaine de personnes, des démineurs, des sapeurs-pompiers du GRIMP, des militaires français et allemands. Tous ont oeuvré durant 3 jours sur le côteau à quelques encablures du tristement célèbre village de Craonne, sur le Chemin des Dames. Le but de cet important dispositif était de rechercher l'emplacement exact du "Tunnel de Winterberg", un ancien abri de la guerre 14-18 long de 300 mètres où reposeraient les dépouilles de 150 à 250 soldats allemands (selon les estimations) du 111ème Régiment d'infanterie de réserve de Bade. Ces hommes auraient été ensevelis durant les combats de mai 1917 suite à l'explosion de munitions. Si l'existence du tunnel et du drame sont attestés par de nombreuses archives, les corps de ces hommes n'ont jamais été exhumés et l'emplacement exact de l'abri restait à confirmer.
Conférence de presse de bilan
Ces derniers mois, les autorités françaises et allemandes s'étaient décidées à lancer cette opération pour localiser le tunnel et même à l'accélérer après la médiatisation du dossier par deux frères ayant revendiqué l'avoir localisé après des fouilles clandestines réalisées l'an passé. Ce jeudi après-midi, alors que le dispositif sur place devait être levé en soirée, les autorités françaises et allemandes ont dressé un bilan des recherches lors d'une conférence de presse sur les lieux.
D'après les autorités, les travaux ont consisté notamment en une analyse du sous-sol par caméra. Ils ont permis de déceler la présence sous terre de rails attestant bien de l'existence du tunnel. Ces derniers sont enfouis à 10 mètres de profondeur sous une épaisse couche sableuse. Pour le reste, l'exploration n'a pu être poussée plus loin. L'ampleur du site à explorer, la nature du sol et le risque lié aux munitions non explosées potentiellement présentes dans ce secteur de la fameuse « zone rouge » (des obus ont effectivement été découverts) n'ont pas permis à ce stade d'examiner le tunnel. "L’objectif des sondages techniques était de matérialiser le site sur lequel nous nous trouvions mais absolument pas de pouvoir pénétrer dans un quelconque tunnel. Les données qui ont été récupérées lors de ces sondages vont maintenant être analysées et les retours d’expérience pourront permettre de définir la marche à suivre à partir de maintenant", précise Jérôme Mallet, Directeur de cabinet du Préfet de l'Aisne. Selon les responsables, aucun corps de soldat allemand n'a été découvert et exhumé pour le moment.
Plusieurs objets d'époque ont néanmoins pu être retrouvés, en particulier des galons d'épaule confirmant la présence sur les lieux du 111ème Régiment d'infanterie de réserve allemand. "On a pu matérialiser un certain nombre d’éléments qui ont pu confirmer que ce tunnel était bien présent sur le site de Craonne. Nous avons récupéré des manteaux de soldats qui confirment qu'il s'agit bien du tunnel de Winterberg et maintenant nous allons débriefer avec les autorités allemandes", explique le Directeur de cabinet du Préfet de l’Aisne. Cette découverte corrobore les informations connues des historiens, en particulier au travers notamment des archives allemandes et de l'historique du régiment. "10 pages décrivent cette catastrophe. Nous avons même une liste nominative de blessés, tués ou disparus", indique l'historien Thierry Hardier, membre du bureau du collectif de recherche CRID 14-18 et directeur des travaux de l'ouvrage « Craonne - 100 ans de batailles inachevées 1914-2018 ».
Concernant l'opération qui s'achève, le spécialiste redoutait avant tout que des données historiques importantes ne soient dégradées. "J'avais peur que l'on fasse une exhumation sans le concours d'archéologues. S'il faut faire des exhumations, pourquoi pas, mais que cela se fasse surtout avec le concours d'archéologues. Ce serait un apport. Maintenant, nous sommes dans le domaine de l'Histoire", estime Thierry Hardier.
Eriger un monument sur le site
Une exhumation éventuelle risque en tous cas de constituer une tâche complexe et coûteuse. Thierry Hardier, lui, défend plutôt l'idée de préserver les lieux en l'état et d'honorer les victimes par la création d'un monument sur le site "dédié à tous les morts des combats du Plateau" (n.d.l.r de Californie) de toutes nationalités. « Dans 50 ans, les techniques de recherche se seront peut-être améliorées », analyse l'historien qui livre également le chiffre d'« au moins 6400 français tués à Craonne entre 1914 et 1918 », fruit de ses derniers travaux de recherche.
Ce soir, l'opération à Craonne s'achève sur une avancée mais sans avoir répondu à toutes les questions. Pour les autorités, la prochaine étape pourrait consister à explorer réellement le tunnel de Winterberg. Des discussions doivent se tenir prochainement entre les acteurs de ce dossier franco-allemand pour évoquer les suites à donner.