L'histoire oubliée des forts Séré de Rivières dans l'Aisne

D'imposants ouvrages émergent autour de Laon et de La Fère dans l'Aisne. Vestiges de la ligne de fortifications bâtie après la guerre de 1870 pour protéger la France des envahisseurs, ces forts ont en réalité peu servi militairement mais ont connu diverses reconversions.

"Après la défaite de 1870, la France est isolée sur la scène européenne, désarmée, sans alliés. Pour se protéger, on a l'idée de créer cette ligne de défense à mi chemin entre Vauban et Maginot", explique Cédric Vaubourg, Président de l'association Fortiff'Séré. Ce vosgien est un expert du système "Séré de Rivières", une ligne de fortications baptisée du nom de son concepteur dans l'espoir de protéger la France des envahisseurs, en particulier allemands. Depuis son plus jeune âge, ce passionné est familier de ces ouvrages qui jalonnent le Nord et l'Est de la France, en particulier. S'il ne les a pas tous visités car trop nombreux, il connait néanmoins les spécificités de chacun d'entre eux.  Dans l'Aisne, les vestiges de ce grand projet militaire sont toujours bien présents comme le montre cette carte.Aujourd'hui, une dizaine de forts et d'ouvrages sont toujours visibles, articulés principalement autour de Laon et de La Fère. "La Fère et Laon étaient des noeuds de communication. Il fallait donc les contrôler. C'était aussi la dernière barrière avant Paris", précise Cédric Vaubourg. "Ils étaient classés comme forts "de deuxième ligne" car ils ne faisaient pas face directement à la frontière allemande".

Ces forts construits à grands frais sur l'idée du général Séré de Rivières ont été conçus suivant un schéma leur permettant de se défendre mutuellement grâce aux tirs de leur artillerie. "L'idée n'était pas de créer une ligne continue infranchissable, mais d'assurer la surveillance et le contrôle de points stratégiques, en particulier des voies de communication. Il s'agissait d'abord de retarder l'adversaire". Ainsi, de Dunkerque à Nice, furent bâtis un total de 196 forts, 58 petits ouvrages et 278 batteries. L'implantation du système Séré de Rivières se poursuivit jusqu'en 1914, mais après 1900 de nombreux forts furent déclassés et désarmés sans avoir servi. Les progrès de l'artillerie, les avaient rendus obsolètes. Aujourd'hui, certains sont à l'état de ruine, d'autres en revanche ont trouvé une nouvelle vocation.

Séré de Rivières : un nouveau Vauban

Raymond Adophe Séré de Rivières est né à Albi le 20 mai 1815. Diplômé de Polytechnique, il poursuit une carrière militaire dans l'artillerie et le génie à Metz où il se forme aux techniques de la fortification. Il développe ses théories sur le sujet et fait construire ses premiers forts. En 1870, il est promu général, puis en 1873, secrétaire du Comité de Défense où il présente un nouveau système de défense des frontières avec une idée principale : créer un réseau de forts défendant des places fortes plutôt qu'une ligne continue. Cette ligne doit éloigner l'ennemi de Paris et le canaliser vers les espaces entre les places fortes où une armée restreinte pourrait l'attendre. Cette conception, inspirée par celle de Vauban, mais mise au goût du jour est approuvé le 17 juillet 1874 et mise en chantier. Séré de Rivières meurt à Paris le 16 février 1895. 

La dizaine d'ouvrages Séré de Rivières encore présents dans le département de l'Aisne a connu des fortunes diverses depuis sa création jusqu'à nos jours. Certaines histoires sont singulières voici celle de quatre d'entre eux.

La Malmaison, l'obsolescence non programmée

C'est le fort qui a en quelque sorte ruiné l'utilité de tous les autres. Construit de 1878 à 1882 entre Laon et Soissons, le fort de la Malmaison avait pour mission la surveillance de la vallée de l´Aisne, la protection de la ligne de chemin de fer et le contrôle de la route Paris-Maubeuge. Quatre ans après sa construction, il sert de terrain d’expérimentation pour mesurer les effets des nouveaux obus explosifs. La vulnérabilité des forts Séré de Rivières face à ces nouveaux armements est une évidence. 
Le fort de La Malmaison devenu obsolète fut déclassé en 1912 puis vendu à un entrepreneur qui en exploita les matériaux.
Du fait de sa position stratégique sur la ligne de front du Chemin des Dames, l'ouvrage fut néanmoins âprement disputé tout au long de la Première Guerre mondiale. Aujourd'hui, il n'en reste que des ruines imposantes partiellement envahies par la végétation. Elle sont visitables régulièrement par l'intermédiaire de la Caverne du Dragon.
Du 11 août au 27 octobre 1886, des essais sont réalisés au fort de la Malmaison pour juger des effets des nouveaux obus dits "torpille" au pouvoir explosif décuplé sur les fortifications. On tire donc sur l'ouvrage et le constat est sans appel. Les murs ne résistent pas. Les forts de la ligne étant tous construits sur le même modèle, les espoirs de protection placés dans cette ligne de défense sont réduits à néant. Certains ouvrages seront néanmoins modernisés pour mieux résister, d'autres seront purement et simplement désarmés et déclassés avant la Première guerre mondiale. Notre rubrique "Histoire 14/18" s'était penchée sur cette affaire. 
Source archives : \ - Pathé Gaumont\ - BNF Gallica\ ©FTV

Condé, le plus vivant

"L'an passé, nous avons accueilli 14000 visiteurs. Depuis cette année nous venons aussi de lancer un escape game" explique un des personnels chargés de l'accueil au fort de Condé. Ce fort Séré de Rivières est sans doute le plus fréquenté et le mieux préservé des forts de l'Aisne. L'ouvrage situé à l'écart de la commune de Chivres-Val, non loin de Soissons, a été construit entre 1877 et 1882. Désarmé dès 1886, déclassé en 1912. Il est occupé par les allemands durant la Première guerre mondiale dès le 1er septembre 1914. Durant presque tout le conflit, il servira de caserne. Sa très belle architecture a été préservée jusqu'à nos jours. Racheté le 2 juillet 1959 par la commune de Chivre-Val puis repris en gestion en 2000 par la Communauté de communes du Val de l'Aisne, il est inscrit depuis 2001 à l'inventaire supplémentaire des monuments historiques et ouvert officiellement au public depuis 2003.

Ses gestionnaires entendent désormais mener une politique d'animation du lieu. Visites, manifestations, expositions sont régulièrement proposés, de même que des parcours de randonnée.

 Vendeuil, la bête de scène

"Chaque week-end, il y avait plein de bus garés près du fort et jusqu'à 4000 personnes" se souvient François Delot, un habitant de Vendeuil. C'était dans les années 60. M. et Mme Caucheteux achètent au franc symbolique le vieux fort de Vendeuil. Ils le transforment en un zoo qui connait rapidement une belle fréquentation. "J'y suis allé quand j'étais petit. Il y avait le lion, le gorille, une petite otarie", se souvient Raymond Legrand, le propriétaire actuel du fort. Jusqu'en 1988, le site propose non seulement de voir les animaux, mais aussi d'assister à des démonstrations, comme le montre ce reportage de 1965.
©INA
L'ouvrage a été construit de 1878 à 1880 pour accueillir 500 hommes. Il devait assurer le contrôle de la route de Saint quentin, du canal et de la vallée de l'Oise en lien avec les forts voisins de Liez et de Mayot. Dès 1912, il a été déclassé et en 1918, les allemands l'ont saboté à leur départ. L'aventure du zoo, elle, se termine mal. En 1988, le zoo est placé en liquidation judiciaire. Au terme d'une polémique sur les conditions de vie des animaux, l'actrice Brigitte Bardot les rachète pour 60000 francs.

Une situation évoquée par de nombreux reportages à l'époque comme celui ci datant de novembre 1988.
©INA
Après la période du zoo, le fort a servi de garage à un passionné de véhicules ancien. Depuis 10 ans, un boulanger et traiteur de Saint-Quentin a racheté les lieux. Il  propose à la location les anciens locaux pour des mariages ou des réunions. "Je n'y connais malheureusement rien en fortifications, mais je le regrette. On sait peu de choses de l'histoire du fort, il ne reste que les douves et des souterrains. Il y avait un passage qui permettait de rejoindre le fort voisin de Mayot. Chaque année nous avons la visite d'une centaine de passionnés d'histoire britanniques qui viennent en pélerinage. Un régiment anglais aurait stationné été stationné au fort durant la première guerre", raconte le propriétaire.

Des chèvres à l'assaut du fort de Bruyères

"A l'époque, il n'y avait même pas de chemin d'accès. En septembre 1878, on commence la construction du fort par la création d'une route pour tout terminer en 1882", raconte Bruno Chartier, occupant actuel du fort de Bruyères. "Au mont Chamberlain, on est à 5 ou 6 kilomètres de Laon. De là, on peut protéger la ville". En fait de fort, il s'agit seulement en réalité d'une batterie d'artillerie, la batterie "Henriot", détachée du fort voisin de Montbérault. "Habituellement les batteries ne possédaient pas de fossés et de pont-levis, mais à Bruyères, le site a été construit sur une ancienne carrière d'extraction, c'est pour cela qu'il y a des fossés comme dans un fort et qu'on le nomme "fort" abusivement", explique cet enfant du pays. En 1914, le fort de Bruyères est occupé par les allemands et reste à l'arrière du front du Chemin des dames. Du coup, ce sont les Français qui le bombardent. En 1961, le site est acheté par un carrier puis vendu à la commune en 1986.Depuis 2016, Béatrice et Bruno Chartier, les actuels locataires du fort ont décidé de changer de vie et d'y lancer un projet de chèvrerie pédagogique. Ils ont installé leur élevage dans les anciennes casemates en échange d'assurer l'entretien des lieux. Le fort héberge désormais leur troupeau d'une cinquantaine d'animaux. Grâce à lui, le couple propose désormais à la vente du fromage, du savon à base du lait des chèvres et organise des visites pédagogiques. Après quelques années, il se dit satisfait du développement du projet. En 2017, nous les avions rencontrés sur place au démarrage de cette activité.
Reportage Rémi Vivenot et Eric Henry ©FTV

Les forts Séré de rivières ont finalement peu servi militairement sauf peut être du côté de Verdun où l'histoire a retenu les noms des fameux forts de Douaumont, de Vaux et d'autres. Ailleurs, ils furent souvent déclassés avant même d'avoir servi, pourtant ces ouvrages ont conservé leur place dans le paysage et sont aujourd'hui redécouverts grâce à différentes initiatives de mise en valeur.

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