Trois policiers impliqués dans la mort en 2015 du Saint-Quentinois d’origine sénégalaise Amadou Koumé sont renvoyés pour homicide involontaire devant le tribunal correctionnel. Une victoire en demi-teinte pour sa compagne et mère de son dernier enfant, Jessica Lefèvre.
"On se rapproche de la vérité, mais on n’y est pas encore". Pour Jessica Lefèvre, le renvoi en correctionnel de trois policiers impliqués dans la mort de son compagnon Amadou Koumé en 2015 lors d’une interpellation avec une clé d’étranglement, est une victoire en demi-teinte.
Six ans après les faits, ils seront jugés pour homicide involontaire. Une qualification que Jessica Lefèvre considère insuffisante. "C’est quand même une réussite dans le sens où la poursuite des policiers est très rare dans ce genre d’affaires, en général ça se solde toujours pas des non-lieux. Maintenant, faire passer ça pour de la négligence plutôt que de la violence, là non", dénonce Jessica Lefèvre.
Négligences et maladresse
Selon l’ordonnance de renvoi consultée par l’AFP, les trois policiers auraient en effet fait preuve de "négligences" et de "maladresse". La juge d'instruction relève "le manque de discernement" des fonctionnaires qui ont maintenu au sol le trentenaire pendant plus de six minutes sur le ventre, mains menottées dans le dos, alors qu'il "ne présentait plus aucun danger pour autrui". Si la juge d’instruction reconnaît des gestes "mal maîtrisés", elle conclut que les violences, pratiquées sans "l'intention" de "blesser", n'avaient "pas été commises de manière illégitime".
La magistrate reproche en revanche aux trois policiers de ne jamais avoir vérifié l'état de santé d'Amadou Koumé, "malgré sa vulnérabilité psychiatrique". Elle les estime responsables de "manquements" qui ont conduit au décès, justifiant leur procès pour homicide involontaire. Les poursuites pour non-assistance à personne en péril sont abandonnées.
"Il a quand même été étranglé, asphyxié, il a subi des violences dans des techniques qui n’étaient pas forcément réglementaires. […] Maintenir quelqu’un au sol pendant six minutes trente, je pense que c’est plus qu’un manquement. Sa mort a été provoquée par des violences, il faut que les responsables de ces actes soient condamnés", poursuit Jessica Lefèvre.
Rappel des faits
Janvier 2015, Amadou Koumé, un Saint-Quentinois de 33 ans, d’origine sénégalaise et père de famille, part chercher du travail en tant qu’intérimaire à Paris. Dans la nuit du 5 au 6 mars, il décède dans un commissariat du 10e arrondissement de Paris. Les circonstances du drame sont floues. Interpellé à proximité d'un café du secteur de la gare du Nord aux alentours de minuit, alors qu'il tenait des propos incohérents, Amadou Koumé refuse les menottes.
Un premier équipage de policiers ne parvient pas à le maîtriser. Alors qu’il se débat, un policier de la brigade anti-criminalité (BAC) leur prête main-forte en procédant à une clé d'étranglement, technique aujourd’hui abandonnée dans les écoles de police. Ce fonctionnaire a qualifié devant la juge son geste de simple "levée de tête", consistant à presser le menton et non la gorge d’Amadou Koumé, maintenu au sol sur le ventre par un autre policier.
Les policiers qui surveillaient Amadou Koumé dans le fourgon se sont rendu compte qu'il ne réagissait plus une fois arrivés au commissariat à 0h25. La mort du trentenaire est officiellement constatée à 2h30.
L'enquête de l'IGPN classée sans suite
Lorsqu'ils se rendent à l'Institut médico-légal, plusieurs membres de la famille du jeune homme s’aperçoivent qu’il a une plaie au visage. Sa famille dépose alors plainte contre X et l'Inspection générale de la police nationale (IGPN) est saisie. En novembre 2015, l'enquête préliminaire menée par l'IGPN conclue par un classement sans suite. Mais un recours de la famille, qui réclamait un procès aux assises, avait entraîné la réouverture des investigations.
L'expertise médicale finale conclue qu’Amadou Koumé, a succombé à un "oedème pulmonaire" causé par "l'association d'une asphyxie mécanique lente et d'une intoxication à la cocaïne". Elle ajoute que "le traumatisme cervical et laryngé" entraîné par une clé d'étranglement a "participé à la survenue de cette asphyxie", également "favorisée" par son immobilisation au sol. Selon l'ordonnance de renvoi rendue le 2 novembre, "le décès aurait pu avoir lieu sans imprégnation de cocaïne et du seul fait d'une asphyxie mécanique lente".
Suite à l'incompréhension émanant de sa mort, des rassemblements ont eu lieu à Saint-Quentin dans l'Aisne et à Paris pour réclamer "justice". "Six ans, c’est très long. Il a fallu batailler pour que ça avance. C’est un combat continu, une quête de vérité, et surtout pour la reconnaissance du statut de victime d’Amadou. Amadou n’est pas coupable de sa propre mort", conclue Jessica Lefèvre.