Dans la zone de Capécure, à Boulogne-sur-Mer, un nouveau patrouilleur de la marine nationale est en phase d'équipement sur le chantier de la Socarenam. Comme le veut la tradition, le bâtiment a été inauguré, avec une cérémonie militaire.
Le son d’une trompette résonne sur le pont du bateau, tout juste achevé. Le second, épée en main, passe en revue les troupes : “Présentez armes” hurle-t-il. La trentaine de militaires présents s'exécute. Le contre-amiral Xavier Royer de Véricourt, dépêché expressément de Brest, transmet les commandes du bateau au tout jeune capitaine de corvette François Thisse, le cœur déjà serti de plusieurs dizaines de médailles brillantes. Ainsi, le “Teriieroo a Teriierooterai”, nouveau patrouilleur Outre-mer de la marine nationale, est baptisé. “Cette cérémonie, c’est l’acte de naissance du bâtiment et de l’équipage” se félicite François Thisse, nouveau capitaine à bord.
La cérémonie annonce surtout la fin du chantier pour le bateau de 80 mètres de long. Il entre dans ce que les militaires appellent “la phase de test” qui doit se terminer en juillet, toujours dans le bassin de la Socarenam à Boulogne. Ensuite, le bateau prendra la mer direction Brest, où il sera équipé en communication. Mi-octobre et “pour plusieurs années” il s’élancera au large direction la Polynésie et Tahiti. Là-bas, il devra assurer les missions courantes de l’Etat. “C’est un bâtiment qui est plutôt légèrement armé donc pas destiné à combattre d’autres bâtiments. En revanche, il doit assurer la souveraineté de l’Etat en mer, en particulier les missions de police des pêches et de lutte contre le narcotrafic” explique le commandant.
"On est surtout fier d'avoir encore du boulot"
Sur le quai, en contrebas de la cérémonie, assez déconnecté du cérémoniel en cours sur le pont, quelques ouvriers observent la scène. Le drapeau français est hissé, ils filment avec leurs téléphones. L’inauguration d’un bateau fait partie de la vie courante sur le port de Boulogne. Mais cet énième baptême à ceci d’original : il propulse le bateau, leur création, vers des mers exotiques. “Et dire que tout ça aura commencé chez nous, à Boulogne-sur-Mer”, se félicite Jean-François Dehame, chef d’équipe à la Socarenam. De plus, pour lui, construire un bâtiment militaire s'apparente à un jeu, à la manière d’un mecano géant. “On a reçu la coque vide au mois de septembre 2022, il a fallu tout équiper, monter le mât… Vous n’imaginez pas ! A l’intérieur, on a fabriqué les cuisines, il y a même des cellules de prison au cas où les militaires devraient interpeller des gens.Tout ça, c’est nous qui l’avons construit” argumente Jean-François.
Il y a 28 ans, il a commencé comme ouvrier à la Socarenam. A l’époque, les contrats étaient plus réguliers. L’entreprise produisait des chalutiers, pour la pêche. Avec la crise de ce secteur d’activité, la Socarenam s’est diversifiée et aujourd’hui, elle obtient aussi des contrats de marchés publics, destinés à équiper la marine nationale. “On s’amuse plus à construire des bateaux pour l’armée, c’est sûr. C’est plus de travail, plus de technique, plus d’enjeu. Quand on fait des chalutiers, ça nous arrive encore, on met un bac à poisson, deux trois équipements et point barre.”
Pour autant, Jean-François n’éprouve pas de fierté particulière à produire pour l’armée. “On est surtout fier d’avoir encore du boulot” ironise-t’il en un sourire, avant de reprendre : “c’est pas joli joli dans le secteur, donc tout contrat est le bienvenu.”
Un discours, qui résonne avec celui de son patron, Philippe Gobert, à la tête de la Socarenam. “La pêche a été notre coeur de métier mais le nombre de bateaux de pêche à construire à diminuer. On a dû trouver d’autres contrats, se diversifier et aujourd’hui nous sommes plutôt sur du bateau militaire. On s’adapte au marché.”
Alors, en 2019, lorsque la marine nationale doit remplacer sa flotte de navires patrouilleurs en Outre-mer, la Socarenam remporte l’appel d’offres et signe un contrat avec l’Etat : 250 millions d’euros investis pour la construction de six bateaux. Le “Teriieroo a Teriierooterai”, baptisé aujourd’hui, est le deuxième bateau livré à l’armée, il en reste encore 4 à construire. Et pour chacun, l’entreprise estime à environ 400 le nombre d’emplois. “C’est donc un programme essentiel. La construction de ces bateaux s’échelonne jusqu’à mi-2025 donc c’est quatre années pleines de travail pour une entreprise qui emploie en direct 250 salariés mais qui fait travailler également plus de 300 sous-traitants et fournisseurs. C’est un contrat phare” explique Philippe Gobert.
En attendant que le “Teriieroo a Teriierooterai” prenne la mer, au départ de Boulogne, le nouveau commandant, tout juste décoré, ne manque d’ailleurs pas de rappeler à l’adresse du président de la Socarenam : “nous connaissons tous deux des périodes de gros temps. De notre côté, nous allons devoir traverser des tempêtes dans l’Atlantique Nord et le Pacifique. Vous, vous devez faire ce qu’il faut pour préserver l’emploi et le savoir-faire ici. Alors merci.” Voilà peut-être de quoi rassurer les salariés de la Socarenam, l’avis de tempête est levé, pour quatre ans, au moins.