Ce week-end, les bandes de Dunkerque, de la Citadelle et de Rosendaël, les "Trois Joyeuses" auraient dû se tenir. Cette année, pas de bal, ni de bande, et c'est toute une économie qui est menacée.
C'est un hôtel-restaurant à moins de 100 mètres du Kuursal, presque sur la digue. Le "Transat Bleu". D'habitude, sa rue est pleine de carnavaleux déguisés, joyeux fêtards. Aujourd'hui, peu d'animation. "Pour nous, c'est une catastrophe. Ce week-end, 2 chambres sur 12 sont réservées. Alors que d'habitude, pour les Trois Joyeuses, l'hôtel est complet d'une année sur l'autre. On va faire à peine 10% de chiffre d'affaire si on compare à l'an dernier", explique Jean-François Lehmann, le directeur de l'hôtel.
Le secteur de l'hôtellerie-restauration est déjà fragilisé par la crise de la Covid-19. Cette année, c'est la double peine. Sur la digue, l'annulation du carnaval est un manque à gagner pour les professionnels du secteur. "Imaginez, on est voisin du Kuursal, là où se déroule le bal. C'est ici que la fête bat son plein. D'habitude, les carnavaleux consomment dans notre restaurant. Là, il est fermé, c'est une perte sèche", raconte Jean-François Lehmann. Un cataclysme pour l'économie locale. Chaque année, environ 5 000 chambres sont réservées en période de carnaval. Selon les estimations, une journée de carnaval permet d'augmenter de 30% le chiffre d'affaire mensuel pour les professionnels de l'hôtellerie-restauration. Pas cette année.
L'esprit carnaval demeure
Pas de bals, ni de bandes. Mais certains continuent à faire vivre l'esprit carnaval. A Saint-Pol-sur-Mer, la fête aurait dû se tenir samedi dernier. Plutôt qu'un jet de hareng traditionnel, la mairie a organisé des distributions à domicile. Sur le site de la municipalité, les dernières publications font vivre le souvenir du carnaval avec vidéos de fête et interviews de carnavaleux. Plus encore, Dominique Deguines, adjoint à l'enseignement et historique du carnaval, a distribué des films éducatifs sur l'histoire du carnaval dans 14 écoles. Ces films racontent comment les pêcheurs du Dunkerquois, en partance pour 8 mois de travail en Islande, organisaient de grandes fêtes de départs pour un au revoir, voir un adieu chaleureux. "C'est important, cette histoire du carnaval est liée à l'histoire de notre territoire. Il faut inculquer ces valeurs et le récit de ces pêcheurs aux plus jeunes", explique Dominique Deguines.
Malgré tout, ce week-end des Trois Joyeuses a un goût amer. "C'est une grosse déception. Le carnaval rassemble les gens, c'est un besoin social" Dominique se souvient : "C'est la deuxième fois qu'il est annulé. La première c'était en 1991". La France est alors en état d'alerte pour menace terroriste après le début de la guerre du Golfe. "Je me souviens, les carnavaleux s'étaient réunis à St Pol et avait organisé une "bande annulée" jusqu'à la citadelle. Mais cette année c'est différent, l'épidémie est bien là alors il ne s'agit pas de braver l'interdit", rappelle Dominique Deguines.
L'économie philantropique menacée
L'esprit carnaval demeure. Mais face à l'annulation, c'est toute une économie interne qui est ébranlée. Chaque week-end, une partie des recettes des différents bals est collectée par l'ABCD (Association des bals de carnaval de Dunkerque). Ce pot commun est ensuite redistribué pour dynamiser la vie associative, culturelle ou sportive de la ville et de la région. L'an dernier, cet argent avait par exemple permis l'achat d'un appareil de recherche pour l'IRCL (Institut de Recherche contre le Cancer de Lille). Cette année, la trésorerie ammaigrie par un an d'épidémie servira à venir en aide aux associations en difficultée. Pas de bal, pas de recette, aucune retombée philanthropique.
L'association La Jeune France existe depuis 1864. Elle est l'une des deux plus vieilles à Dunkerque. Sa devise ? "Art, Plaisir, Charité". Au Kuursal, les samedis de Trois Joyeuses, c'est son bal (Les Gigolos et les Gigolettes) qui mène la danse. En 2020, à deux heures de l'ouverture des portes, l'interdiction tombe. Cette année, le bal est de nouveau annulé. Deux ans de caisses vides pour l'association. "Nous allons devoir nous séparer d'un de nos trois salariés. En plus, ces bals font vivre une myriade de petites associations partenaires qui sont dans l'urgence aujourd'hui. Pour nous, c'est un manque à gagner de 70 000 euros environ", désespère Erick Verlet, le président de l'association. En 2018, une étude évaluait à 2,5 millions d'euros les recettes d'entrées dans les bals. Selon cette même étude, le carnaval générerait 7,5 millions d'euros de retombées directes et indirectes. Autant d'argent en moins cette année. La visée philanthropique des associations est impossible cette année. Il faut d'abord se sauver de la faillite.