"Comment ne pas devenir fou ?" A Calais, des migrants en détresse psychologique

"Comment ne pas devenir fou ? On vit comme des sauvages", soupire Abebe, Ethiopien de 32 ans. A Calais, les conditions de vie des migrants affectent leur santé mentale, déjà fragilisée par leur vécu dans leur propre pays et leur parcours migratoire, s'alarment les associations.

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Le vent fouette les visages. Dans une zone industrielle, aux pieds de pylônes électriques, Médecins du monde monte un chapiteau sous lequel se pressent des migrants pour un café. Abebe raconte à un bénévole les violentes rixes entre communautés
du 1er février: "Terribles, tout le monde avait peur".

"Nous sommes isolés de tout, éloignés de la société, le seul contact que nous avons avec l'extérieur, c'est avec les associations", dit le jeune Ethiopien en français, à Calais depuis trois mois. "Abris détruits", "violence policière", "isolement": leurs conditions de vie "sont tellement indignes qu'ils sont déshumanisés et perdent ce qui pourrait leur permettre de développer leur résilience", affirme Chloé Lorieux, responsable de l'action en santé mentale chez Médecins du monde. Selon elle, cette "souffrance généralisée" est aussi liée "aux choix politiques" en France : "le refus de les accueillir et de les laisser accéder à des droits fondamentaux aggrave leur souffrance". "Des personnes nous disent, +J'ai l'impression de devenir fou+ ou +On vit comme des animaux+, il y a une dévalorisation de soi et certains n'ont plus d'espoir, ne se projettent plus", poursuit la jeune femme.


'Ruminations anxieuses' 

Alors, des "conduites à risque émergent", notamment "lors de leurs tentatives de passage, où ils se disent +je n'ai plus rien à perdre+". Certains aussi "s'alcoolisent" ou "consomment des produits toxiques, comme du cannabis ou du tramadol, pour s'anesthésier, oublier leurs conditions de vie, bloquer leurs ruminations anxieuses", explique Chloé Lorieux. "Nous sommes enfermés dehors, sans aucune perspective, découragés de tout. Je vois des gens devenir fous, déprimés, certains s'énervent pour un rien", témoigne Abebe.

Sur le littoral, "nos infirmiers constatent des traumatismes, physiques, avec des traces de torture, et psychologiques. Et à Calais, leurs conditions de vie entraînent une détérioration générale de l'état de santé", affirme Diane Leon de la Croix-Rouge.

Sur les 16.095 personnes ayant effectué un bilan de santé au Comité pour la santé des exilés (Comede) entre 2007 et 2016, 2.668 présentaient des troubles psychiques graves: "syndromes psychotraumatiques", "dépressions", "troubles anxieux", rapporte le Comede dans un article paru en 2017.


'Problème sous-estimé' 

Les "troubles psychiques" sont "les maladies graves les plus fréquentes chez les migrants devant les maladies chroniques et infectieuses", affirme ainsi Arnaud Veisse, médecin et directeur du Comede. Ceux-ci sont "provoqués par une série de traumatismes dans le pays d'origine -violences, tortures, viols- mais aussi sur le trajet migratoire qui dure de plus en plus longtemps, comme avoir assisté à la mort de gens lors des tentatives de passage", explique M. Veisse.

Problème, "la première condition d'une prise en charge de qualité est la stabilité sociale, ce ne sont pas des traitements minute, et les exilés en France continuent à être dispersés plutôt qu'être accueillis dans des structures d'accueil", argumente-t-il. Médecins du monde et la Croix-Rouge repèrent lors de maraudes les migrants qui souffrent de pathologies mentales et les orientent vers des structures de soins, comme la Permanence d'accès aux soins de santé (Pass) de Calais.

Mais Arnaud Veisse pointe "l'insuffisance des ressources" en France dans les "services de santé de droit commun" pour prendre en charge ces personnes. "Les structures sont sous-dotées, les délais de rendez-vous trop longs, la plupart ne travaillent pas avec des interprètes et sont peu sensibilisées à ces questions".

Selon lui, "le problème de la santé mentale" est "sous-estimé": "Les autorités ne se préoccupent des migrants que quand il s'agit de maladies infectieuses. On les considère comme potentiellement vecteurs de maladies plutôt que de les considérer comme ayant besoin de soins".
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