Le taux de vaccination par agglomération révèle une fracture vaccinale dans les Hauts-de-France. Plusieurs facteurs l'expliquent : les inégalités socio-économiques, la démographie ou encore l'organisation de la campagne de vaccination. Exemple au Touquet dans le Pas-de-Calais et à Creil dans l'Oise.
Ce sont des données précieuses, car plus précises qu’à l’échelle d’un département ou d’une région. L’Assurance Maladie partage désormais les chiffres de la vaccination contre le Covid-19 à l’échelle des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI), comprendre les agglomérations. Ainsi, on peut par exemple connaître le pourcentage d’habitants de la communauté urbaine de Dunkerque ayant reçu une première injection ou le pourcentage d’habitants de la métropole d’Amiens pleinement vaccinés.
Un outil supplémentaire pour mieux comprendre l’avancement de la vaccination dans notre région et la fracture vaccinale existante entre les territoires. Au moment même où le pass sanitaire se généralise et sera prochainement obligatoire pour se rendre dans un lieu accueillant du public ou pour prendre le train sur une longue distance.
Sur cette carte composée des 93 EPCI des Hauts-de-France se dessine des différences notables. Plus l’EPCI s’affiche en bleu foncé, plus le taux de vaccination y est élevé. Au 11 juillet (données les plus récentes publiées par l’Assurance Maladie, ndlr) dans les Hauts-de-France, 53,3% de la population avait reçu une première injection à la même date. 43,9% des habitants étaient pleinement vaccinés.
Au Touquet, la part de la population vaccinée deux fois plus importante qu’à Creil
La Communauté d’Agglomération des Deux Baies en Montreuillois (Pas-de-Calais) occupe la première place du podium avec 63,4% de sa population ayant reçu une première injection. Soit 43 212 des 68 158 habitants ayant reçu au moins une dose de vaccin. Cet EPCI regroupe 46 communes dont le Touquet-Paris-Plage, Berck ou encore Montreuil-sur-Mer.
À l’opposé, la Communauté d’Agglomération de Creil Sud Oise occupe la dernière place du classement puisqu’à peine 35,9% des habitants sont partiellement vaccinés. Soit 31 246 des 87 036 habitants. Cet EPCI regroupe 11 communes dont Creil et Nogent-sur-Oise.
Face à ces chiffres, impossible de ne pas constater une fracture dans la vaccination entre ces deux territoires. Comment l’expliquer ? Entre les inégalités socio-économiques, la démographie… mais également l’organisation de la campagne de vaccination et les infrastructures installées, éléments de réponse.
À Creil, où la population est moins vaccinée, elle est aussi beaucoup plus jeune qu’au Touquet
L’agglomération de Creil a le plus faible taux de vaccination à l’échelle régionale, mais également à l’échelle de la France métropolitaine. Des chiffres qui ont surpris la mairie de Creil, de l’aveu même de Loubina Fazal, adjointe en charge de la santé. Après avoir étudié les différentes données, elle avance une piste qui pourrait expliquer cette différence : l’âge des habitants de Creil et de ses alentours. "N’oublions pas que nous avons une population beaucoup plus jeune qu’une ville comme le Touquet. Or, les personnes âgées étaient prioritaires sur les jeunes pour se faire vacciner donc le taux de vaccination est forcément plus bas chez nous".
Parmi les 87 000 habitants de l’agglomération de Creil, 45% ont moins de 30 ans alors qu’au Touquet, cette tranche de la population représente un peu moins de 30% des administrés. Néanmoins, malgré cette différence de répartition des habitants selon l’âge, la fracture vaccinale existe entre les deux territoires : 49% des 12-30 ans ont reçu une injection dans l’agglomération du Touquet contre à peine 19% dans l’agglomération de Creil.
Face à ces chiffres, l’adjointe en charge de la santé admet qu’au-delà du faible taux de vaccination, il est difficile de mobiliser les jeunes. "On a essayé de faire des campagnes de sensibilisation avec un bus qui se déplaçait dans les différents quartiers pour aller à la rencontre des jeunes, on a commencé une campagne via les associations, mais ça peine à décoller".
Des différences socio-économiques importantes entre les deux territoires
Au-delà de l’âge, les indicateurs socio-économiques peuvent également apporter des explications à la fracture vaccinale lorsqu’on sait que les populations les plus aisées se vaccinent davantage que les populations les plus pauvres. "C’est sûr que ça explique également en partie le faible taux de vaccination dans notre agglomération", avance Loubina Fazal, adjointe à Creil.
L’effet pass sanitaire à Creil joue peut-être moins qu’ailleurs
Dans sa ville, le taux de chômage dépasse les 25%. Une unité mobile de vaccination devrait se rendre prochainement dans les deux quartiers prioritaires de la ville pour "aller vers" les habitants et leur proposer une vaccination simple et sans rendez-vous. "On a eu quelques personnes qui sont venues se faire vacciner ces derniers jours parce qu’elles avaient besoin du pass sanitaire pour partir en vacances mais les autres n’ont pas réellement de motif ou d’obligation de se faire vacciner, explique l’élue. L’effet pass sanitaire à Creil joue peut-être moins qu’ailleurs".
Au Touquet, l’une des villes les plus riches de la région, c’est tout l’inverse. "On a vacciné tous nos ainés et on vaccine actuellement à tour de bras des jeunes qui veulent pouvoir partir en vacances", raconte Pascal Renaux, médecin coordinateur du centre de vaccination de la station balnéaire du Pas-de-Calais.
Nous avons également posé la question à Olivier Lacoste, docteur en géographie de la santé, expert à la Haute Autorité de Santé et consultant en santé territoriale dans les Hauts-de-France. "Affirmer que les inégalités économiques et sociales entre le Touquet et Creil sont à l’origine de la fracture vaccinale entre ces deux territoires est complexe. Certes, il est difficile d’avoir quelque chose de plus contrasté sur cet aspect, mais il faut selon moi aussi aller chercher la réponse ailleurs".
Deux visions dans l’organisation de la campagne de vaccination
Selon le géographe, tout est question d’organisation et d’adaptabilité par rapport aux besoins du terrain. "On ne surestimera jamais assez les organisations locales dans le domaine de la santé", avance-t-il.
On ne dépend d’aucun hôpital, on travaille en collaboration avec des médecins retraités du Touquet. On a appelé chacun de nos patients pour les inviter à venir se faire vacciner, et ça a marché
Au Touquet par exemple, le centre de vaccination ouvert depuis début mars a été mis sur pied par des médecins et des professionnels de santé. "On ne dépend d’aucun hôpital, on travaille en collaboration avec des médecins retraités du Touquet. On a appelé chacun de nos patients pour les inviter à venir se faire vacciner, et ça a marché", se félicite Pascal Renaux. Le centre a été ouvert pendant de longues semaines sept jours sur sept, avec des horaires étendus. Désormais, trois jours sont réservés à la vaccination, soit un peu moins de 3 000 injections par semaine.
À Creil, l’organisation est différente. Un centre de vaccination XXL réalise 800 injections quotidiennes, cinq jours par semaine de 9 heures à 18 heures. C’est le plus grand vaccinodrome du département de l’Oise. "On a une organisation qui a du mal à répondre aux besoins d’une population très mobile qui habite à Creil et va travailler à Paris, analyse Olivier Lacoste, géographe de la santé. Il faut que la vaccination soit aussi accessible que possible en fin de semaine et en soirée, puisque c’est là que les gens vont être présents".
On a une organisation qui a du mal à répondre aux besoins d’une population très mobile qui habite à Creil et va travailler à Paris.
D’autant plus que les rendez-vous, gérés par la plateforme Doctolib, ne sont pas simplement réservés aux locaux. "52 106 injections ont été réalisées depuis l’ouverture du centre le 10 mars dernier, se félicite Loubina Fazal, adjointe en charge de la santé. Mais qui sont les personnes qui ont été vaccinées chez nous ?"
Après avoir étudié les statistiques, les résultats sont tombés : 70% des injections réalisées depuis cinq mois ont bénéficié à des personnes habitant en dehors de l’agglomération. Moins d’une injection sur 10 réalisée la semaine dernière a bénéficié à des habitants de la ville. "Les personnes souhaitant se faire vacciner appellent le numéro national et on leur donne le premier rendez-vous disponible. Dans le coin, vu qu’on est le plus grand centre et qu’il y a des doses, ils sont envoyés chez nous", déplore l’adjointe à la santé. "Mais nous n’avons aucun pouvoir décisionnel sur cet aspect-là. Imaginez si on triait les personnes pouvant se faire vacciner chez nous ? On serait taxés de discrimination !"
Imaginez si on triait les personnes pouvant se faire vacciner chez nous ? On serait taxés de discrimination !
Si l'organisation de la campagne vaccinale ne devrait pas être modifiée au Touquet, elle pourrait l'être à Creil. Toutes les données sont actuellement analysées par les services de la mairie pour comprendre pourquoi l'agglomération se classe en bas du classement et tenter d'y remédier.