Entretien avec François Guennoc, président de l'association L'auberge des migrants, signataire d'un communiqué commun aux huit associations d'aide aux exhilés.
Pourquoi avoir dénoncé communément et expressément les expulsions de migrants qui ont lieu mardi 6 avril à Calais ?
François Guennoc : Il faut savoir que tous les jours la police fait des opérations de ce type à Calais. Mais habituellement, cela se fait le matin et cela permet aux exhilés de récupérer leurs effets personnels, leurs tentes, leurs médicaments etc. Là cela n'a pas été le cas. Les expulsions de camps se sont faites dans l'après-midi alors que les personnes étaient parties à la douche ou à la distribution des repas et que la ressourcerie de Calais - où l'on peut récupérer une petite partie des effets personnels en temps normal - était fermée. C'est un pas de plus vers l'inhumanité de traitement des exhilés de Calais. D'autant plus qu'il n'y avait pas de bus pour partir vers les CAES (centre d'accueil et d'examen des situations) du département.
Dans votre communiqué, vous évoquez un problème de droit concernant ces expulsions... Qu'en est-il ?
F. G. : Oui. Ce qu'il faut comprendre, c'est que si un camp est investi par des exhilés depuis moins de 48 heures, les pouvoirs publics peuvent intervenir en flagrance. Au delà de 48 heures, il faut faire une procédure en référé. Un des cinq ou six terrains sur lesquels les forces de l'ordre sont intervenues mardi était sous le coup d'une requête en référé. C'est-à-dire que la justice se penchait sur le bien fondé d'une évacuation de ce camp. Or, la justice avait déjà dit à Lille que l'évacuation était infondée. Ce qui n'a pas empêché la police d'intervenir. Le droit est piétiné.
Le communiqué des huit associations calaisiennes
Vous comptez porter plainte ?
F. G. : Nous nous en réservons le droit, en compagnie des autres associations d'aide aux exhilés et des exhilés.
L'attitude des pouvoirs publics se durcit ?
F. G. : Depuis octobre 2016 et la destruction de la jungle de Calais, oui, ça se durcit à nouveau. Depuis juillet 2020 pour être précis, ce qui correspond à l'arivée de Gérald Darmanin comme ministre de l'Intérieur. Les Anglais mettent par ailleurs de plus en plus de pression sur l'Etat français, pour réduire les traversées sur de petites embarcations. Ils estiment qu'en 2020, 9 000 personnes sont venues en Angleterre à bord de ces embarcations. Il y a un contexte de durcissement politique contre les exhilés qui, par ailleurs, étaient 300 à 400 en février et qui sont aujourd'hui un millier.
Pourquoi ces migrants ne se tournent pas davantage vers les CAES ?
F. G. : Ces centres sont utiles pour ceux qui veulent demander asile en France, mais 90% des exhilés de Calais ont : soit vu cette demande déboutée, soit non renouvelée pour des questions de travail ou de langage, soit sont dublinés [entrent dans la situation des accords de Dublin disant qu'ils doivent demander asile dans le pays par lequel ils sont entrés dans l'UE, là où ils ont fait leur premier relevé d'empreintes digitales]. Du coup, en majorité, ils se tournent toujours vers l'Angleterre, qu'ils ne considèrent plus forcément comme un Eldorado.
En Grande-Bretagne, comment sont les conditions d'accueil ?
F. G. : Les demandeurs d'asile ne sont pas à la rue. Ils sont hébergés dans des logements, des maisons partagées. Toutefois, cette situation matérielle se dégrade : on a vu par exemple des demandeurs d'asile intégrer de vieilles casernes.
Le Brexit change-t-il aujourd'hui la donne ?
F. G. : Le principal changement provoqué par le Brexit, c'est que le Royaume-Uni sort des accords de Dublin. Du coup, il ne peut renvoyer les exhilés dans les pays par lesquels ils sont entrés en Europe. Il est obligé de les garder ou de les renvoyer dans leur pays d'origine, mais c'est difficile surtout actuellement, avec le Covid.