Il y a 25 ans, le monde du cinéma découvrait au Festival de Cannes une comédie belge à petit budget qui allait devenir culte : C'est arrivé près de chez vous. Un faux documentaire grinçant sur un tueur en série déjanté incarné par un certain Benoît Poelvoorde, inconnu à l'époque.
On a tous encore en tête les répliques cultes de cette comédie en noir et blanc à l'humour corrosif. Du "veilleur de nuit noir" au "p'tit Grégory", en passant par "Mamie Tromblon", "Malou, nichons !" et le terrible "Viens gamin, c'était pour rire". Sans oublier cette ode surréaliste au plus cracra des volatiles : "Pigeon, oiseau à la grise robe, dans l'enfer des villes, à mon regard tu te dérobes..."
Pour le 25e anniversaire de C'est arrivé près de chez vous, les médias belges ont ressorti les cartons à souvenirs et quelques archives très émouvantes. En mai 1992, le journal L'Avenir avait suivi sur la Croisette cette bande de trois copains venus présenter à la Semaine de la Critique leur premier long-métrage, autofinancé et autoproduit. Ils s'appelaient Benoît Poelvoorde, Rémy Belvaux et André Bonzel. Le premier était graphiste à l'époque, fils d'une épicière de Namur qui joue aussi dans le film. Les deux autres venaient de terminer leurs études de cinéma.
Un succès monstre
C'est arrivé près de chez vous s'est retrouvé à Cannes grâce à une connaissance belge du directeur de la Semaine de la Critique, section parallèle du Festival de Cannes en quête de nouveaux talents. Un truc "bizarre mais intéressant" qu'il avait visionné, inachevé, sur un banc de montage. Le film est projeté à la presse à Paris, trois jours avant le début des festivités, et le bouche à oreille fera le reste.Si Télérama dénonce le "pipi-caca-vomi" des jeunes auteurs, si Le Monde trouve que l'on y "presse quelque chose d'immonde", d'autres critiques sont dithyrambiques. "La réussite de ce film est de mener le spectateur au-delà du dispositif initial, de ce vrai-faux reportage qui aurait pu tourner très vite à l'exercice de style", soulignent Les Cahiers du Cinéma, tandis que Positif salue "l'audace et l'inventivité de ses auteurs" qui dépassent "les lois du genre pour offrir une réflexion vivante sur la représentation de la violence au cinéma".
C'est arrivé près de chez vous n'est pas un film consensuel, à l'évidence. L'histoire est celle d'un reportage au cours duquel une équipe de télévision pour le moins complaisante suit les pérégrinations d'un tueur en série bavard, cynique, raciste, sexiste et ultra-violent. Le sale type dans toute sa splendeur auto-satisfaite !
Certaines scènes sont difficilement soutenables mais jamais gratuites. On pense notamment à ce meurtre d'enfant ou ce viol collectif où les reporters se muent en complices du psychopathe. Le film se veut une satire féroce des médias, notamment de la célèbre émission Strip-tease, qui suit en immersion et sans commentaire le quotidien des gens ordinaires. "On n'aime pas la démarche de Striptease", expliquait Benoît Poelvoorde, alors âgé de 28 ans, à la RTBF. "Je trouve qu'on peut faire dire n'importe quelle connerie à n'importe qui, si c'est bien monté. Je trouve qu'ils ne sont jamais très honnêtes par rapport à ce qu'ils demandent aux gens. On a l'impression qu'ils savent déjà comment ils vont réaliser leur film, et ils ne le disent pas. Quand un type passe à la télé dans Strip-tease et qu'il passe pour un con, il a l'air d'un con pour quelques années."
A Cannes en 1992, c'était LE film qu'il fallait avoir vu. On se bousculait même pour assister aux séances. "On a été complètement soufflé", racontera Benoît Poelvoorde une fois rentré au pays. "A Cannes, tout fonctionne sur le bouche-à-oreille... la première projection, il restait 15 places libres dans la salle. A partir de la 4e, on a eu des émeutes dans la salle. André (Bonzel), qui réalise avec nous, s'est même fait jeter de la salle. Parce qu'ils ont des vigiles qui font 2 mètres sur 2 mètres, qui, eux, s'en contrefoutent, ils ne sont pas cinéphiles, ils ne reconnaissent pas un visage... ça a été un truc qui nous a littéralement dépassé". "J'ai même donné des autographes !", s'étonnait-il.
Un épilogue tragique
C'est arrivé près de chez vous est reparti de Cannes avec trois récompenses : le prix SACD , le prix de la critique internationale et le prix spécial de la jeunesse. Mais la joyeuse bande de copains - qui n'avait réalisé jusqu'ici qu'un modeste et loufoque court-métrage (Pas de C4 pour Daniel-Daniel) - ne résistera pas à ce succès aussi soudain qu'inattendu. Comme l'a raconté Le Monde en 2013, des dissensions apparaîtront très vite. Selon un de ses proches, Rémy Belvaux estimait être le seul et véritable auteur du film et regrettera d'avoir signé à Cannes un contrat pour une société de vente internationale qui accordait le même statut à Benoît Poelvoorde et André Bonzel.A cause de ce contrat, ils devront attendre cinq ans pour toucher de l'argent sur C'est arrivé près de chez vous. Ils ne retravailleront plus jamais ensemble et ne communiqueront plus entre eux que par leurs avocats. Frère cadet du cinéaste Lucas Belvaux, Rémy Belvaux fera ensuite des films publicitaires avant de se donner la mort en 2006, à l'âge de 40 ans. André Bonzel, le caméraman et chef opérateur, retournera dans l'anonymat. Quant à Benoît Poelvoorde, qui n'envisageait pas une carrière d'acteur à l'époque de C'est arrivé près de chez vous , il deviendra l'une des plus grandes stars du cinéma francophone.