Deux ans après le décès de Brahim Moussa à Lille, tué par une balle d'un policier qui plaide la légitime défense, la famille s'accroche à l'espoir d'une reconstitution pour comprendre la scène.
"On veut la vérité !" : deux ans après le décès de Brahim Moussa à Lille, tué par une balle d'un policier qui plaide la légitime défense, la famille s'accroche à l'espoir d'une reconstitution pour "comprendre" la scène, soulevant plusieurs "incohérences".
"Cette nuit-là, mon neveu rentrait de soirée et raccompagnait quelqu'un à sa voiture, qu'il avait probablement rencontré dans une discothèque ou un bar. Il en est mort", soupire Aïcha, la tante de Brahim, faisant défiler des photos de famille sur son téléphone. "Sans vidéo, ni témoin extérieur", Aïcha, une fonctionnaire quinquagénaire, ne peut qu'imaginer la scène à partir du rapport de l'IGPN rendu rapidement après le décès, et des rares auditions figurant au dossier.
En octobre, le juge d'instruction a entendu pour la première fois les quatre policiers impliqués dont l'auteur du tir, qu'il a placé sous statut de témoin assisté. Samedi 1er décembre 2018, 06H00 rue de Solférino, artère prisée des fêtards lillois. Patrouillant en civil, quatre policiers de la BAC (brigade anti-criminalité) repèrent une Clio déclarée volée - car "non rendue" à une agence de location - et montent une surveillance.
Une scène confuse
Brahim Moussa, 25 ans, arrive une demi-heure plus tard conduisant sa Scenic, avec deux hommes à bord. Il se gare derrière la Clio, son passager avant descend pour la récupérer. La suite est confuse. Deux policiers se ruent sur la Clio, les autres sur la Scenic. Extirpant le suspect de la voiture volée, le brigadier-chef laisse l'un des deux finir l'arrestation seul et se dirige vers le véhicule de Brahim, dont il tente d'ouvrir une portière.
Dos à ses collègues, selon son propre récit, le collègue voit mal ce qu'il se passe, entend hurlements, vrombissements et crissements de pneus, alors que Brahim manoeuvre pour fuir. Le policier expliquera avoir alors lâché son suspect pour aider ses collègues, croyant qu'un collègue est "passé sous les roues". Il dira avoir vu la Scenic "foncer" sur eux, "dans sa direction" et avoir croisé le regard de Brahim. Il tire une fois, un collègue lançant une herse sous les roues.
Brahim réussit à passer mais est retrouvé à quelques centaines de mètres, près de sa voiture accidentée. Il mourra à l'hôpital le 31 décembre au soir. Pendant un an et demi, l'information judiciaire sera menée en "recherche des causes de la mort".
Reconstitution "opportune"
Constituée partie civile, la famille soulève des "contradictions" entre les récits des protagonistes et les constatations médico-légales, réclamant notamment une reconstitution, appuyée d'une expertise balistique. Car selon les légistes, la balle a percé le flanc droit de la victime, légèrement de l'arrière vers l'avant du corps et de haut en bas, se logeant dans la hanche opposée. "Comment peut-il voir mon frère lui foncer dessus, mais tirer presque dans son dos?", s'interroge le frère de Brahim, préférant taire son prénom.
Dans son rapport, l'IGPN considère que "l'intégrité physique" des policiers était bien menacée, mais juge aussi qu'une reconstitution serait "opportune" et "susceptible d'éclairer" l'enquête. A l'automne 2019, la famille dépose une nouvelle plainte devant le doyen des juges d'instruction pour "violences volontaires" ayant entraîné la mort sans intention de la donner, puis le relance six mois plus tard, dénonçant la "paralysie" de l'enquête. Elle attendra l'été 2020 pour obtenir cette requalification.
"Cette lenteur, c'est abominable", souffle Aïcha. Discrète, sans animosité, "cette famille a confiance en la justice, mais va rester extrêmement vigilante afin que chaque élément objectif soit examiné à la loupe" et "qu'on ne parte pas du principe, comme l'a fait la police au départ, (...) que la légitime défense est évidente", renchérit leur avocat Abderrahmane Hammouch.
"Brahim n'était pas un voyou"
Devant le juge en octobre, "les policiers sont restés flous, disant beaucoup 'je ne sais plus'", se contredisant parfois, assure Aïcha. "Comment étaient-ils placés ? Comment Brahim a-t-il fui sans blesser personne ? Savait-il vraiment qu'ils étaient policiers ?" interroge-t-elle, appelant aussi à ce que le deuxième passager, "témoin du tir", soit entendu par le juge.
Pour l'avocat du policier, Me Emmanuel Riglaire, aucune des expertises "ne contredit à ce jour les déclarations immédiates, ou postérieures" de son client et "rien dans le dossier ne contredit l'état de danger dans lequel lui et ses collègues se trouvaient". Le juge a d'ailleurs estimé "les charges insuffisantes" pour le mettre en examen, relève-t-il.
Concernant la trajectoire du tir, "je ne sais pas comment M. Moussa se tenait dans la voiture, comment il s'est penché ou tourné" en voyant un policier sortir son arme, poursuit-il, appelant à "ne pas faire de fiction judiciaire". Sur la durée de l'instruction, il voit un "cheminement logique et classique" dans une enquête en deux étapes - détermination des causes du décès, puis circonstances.
"Brahim n'était pas un voyou", en train de se ranger après "quelques problèmes liés au cannabis" comme de nombreux jeunes du quartier, selon Aïcha. Déterminé, son frère promet "de décortiquer" le dossier pour faire reconnaître Brahim comme "une victime, pas un suspect".