Deux individus soupçonnés de braquage et de tirs sur des policiers ont été libérés, vendredi dernier à cause d'un vice de procédure. Immédiatement, ils ont été replacés en détention. La justice malade de la numérisation ?
L'affaire fait du bruit et est remontée jusqu'à la chancellerie. Des détenus considérés comme dangereux remis en liberté à cause d’un problème de numérisation d'un dossier d'instruction. Au moment où des policiers manifestent suite à une permission accordée à un détenu qui a blessé gravement un policier.
Un braquage, des tirs sur des policiers
Au départ de l'affaire révélée par 20 Minutes, deux "individus particulièrement dangereux", selon une source judiciaire. Ils sont soupçonnés d'un braquage violent et de tirs sur des policiers (l'équipage de la BAC aurait essuyé 13 tirs), en mars dernier à Raismes. Ils sont interpellés et placés en détention provisoire. Une enquête dirigée par un juge d'instruction lillois commence. Les deux hommes nient les faits, affirment qu'ils ne sont pour rien dans cette affaire.Demande remise en liberté
L'avocat des deux prévenus fait une demande de remise en liberté. Jeudi dernier, l'affaire arrive devant la chambre de l'instruction. Là, Maître Quentin Lebas fait remarquer aux juges qu'il lui manque dans son dossier des éléments. "Une demi-feuille", selon une source judiciaire. Sur cette feuille, des retranscriptions d'écoute sans importance. « La procédure exige que la copie transmise soit intégrale, voilà tout », rappelle Maître Lebas à 20 minutes.En vertu de l'Art.197 du code de procédure pénale, la chambre de l'instruction donne raison à l'avocat des prévenus. Ces clients doivent être libérés.
Le juge d'instruction délivre un mandat d'amener
Mis au courant de cette décision, dès vendredi matin, le juge d'instruction décide de ne pas en rester là. Il délivre un mandat d'amener pour que le JLD statue sur un nouveau placement en détention provisoire. Ce qui signifie que des policiers sont chargés d'interpeller les deux individus à leur sortie de prison. « C’est la première fois que ce genre d’arrestation arrive », note Me Lebas.Ils sont transférés de leur prison jusqu'au bureau de cet autre magistrat : le juge de la liberté et de la détention (JLD). Immédiatement, ce dernier décide de les incarcérer à nouveau. Les deux prévenus n'ont donc jamais profité de leur liberté. Ils sont actuellement en prison. C'est la décision rapide du juge d'instruction qui a évité ce qu'on aurait pu appeler un gros couac. "C'est une décision aberrante, affirme Me Lebas. La procédure qui a été utilisée est irrégulière. La détention de mes clients est illégale."
Le dossier en appel
Mais l'affaire ne se termine pas là. Maître Lebas a fait appel de la décision du JLD dès le lendemain. L'affaire va être examinée de nouveau par la chambre de l'instruction ce vendredi et mardi prochain. Le dossier de l'avocat est désormais complet mais Me Quentin Lebas plaidera que ses clients ne peuvent pas être remis en prison sans un nouveau motif. Ce qui sera sans doute très discuté par les juges car la jurisprudence de la cour de Cassation indique qu'un simple vice de forme (comme ici le défaut de numérisation) ne peut permettre d'empêcher une remise en détention.A noter qu'un autre dossier du même type sera aussi plaidé ce vendredi à la chambre de l'instruction.
La numérisation, source d'erreurs ?
Cette affaire de dossier incomplet qui permet à un avocat de faire libérer des individus placés en détention provisoire révèle un sujet douloureux dans les tribunaux : la numérisation. Depuis quelques mois, on ne photocopie plus les dossiers d'instruction au fur et à mesure de l'avancée de l'enquête mais on les scanne. Les avocats qui doivent recevoir toutes les pièces du dossier les obtiennent désormais numérisées, ce qui semble être beaucoup plus source d'erreurs qu'avec l'ancien système.La justice française, on le sait, manque de moyens (c'est l'un des budgets les plus faibles d'Europe). Les greffiers sont débordés. La numérisation des services de l'instruction révèle donc des dysfonctionnements graves dans l'organisation. Aujourd'hui, des sources judiciaires reconnaissent que la plupart des dossiers peuvent être incomplets. « On peut estimer à 80 ou 90 % les dossiers incomplets qui sont transmis aux avocats par voie numérique car il est impossible de garantir une numérisation parfaite de centaines de pages », assure une de ces sources à 20 Minutes.
Le temps manque pour vérifier les dossiers. La chancellerie peut donc légitimement redouter de devoir gérer d'autre affaires de ce type dans les mois qui viennent, si des avocats se saisissent de cette faille.