Des associations comme Emmaüs Connect s'activent pour limiter l'impact grandissant du confinement sur la précarité numérique. Exemple à Lille.
Récupérer un smartphone ? Un "soulagement" pour Nina, 13 ans, qui a pu reprendre ses cours en ligne après plus d'un mois d'interruption. Après avoir brisé l'écran de son portable mi-mars, cette élève en 5e dans un collège de Lille-Sud s'est retrouvée sans solution. "Elle était isolée, n'avait plus aucun contact avec ses camarades, ne pouvait même pas savoir ce qu'ils avaient étudié car les cours sont envoyés par mail", raconte sa mère, Marilyn Mille, qui vit seule avec elle.
Sans ordinateur, sans téléphone portable ni accès à internet, le confinement devient vite un cauchemar. "Relevés bancaires, factures, tout se fait en ligne aujourd'hui...", se désole Mme Mille, qui touche le RSA (environ 700 euros par mois), insuffisant pour se permettre un achat numérique.
Grâce à l'intervention d'Emmaüs Connect, une association créée en 2013 pour favoriser l'insertion sociale à travers le numérique, Nina a finalement reçu par don un smartphone, avec une connexion pendant un mois offerte par SFR. "Dès qu'elle l'a reçu, elle a attaqué ses devoirs car elle a un mois de retard pour essayer de sauver son année", ajoute Mme Mille, saluant une "magnifique solidarité".
Selon une étude publiée par l'Insee en 2019, 17% de la population française est touchée par l'"illectronisme", une personne sur cinq étant incapable de communiquer via internet. Les plus âgés, les moins diplômés, les revenus modestes sont parmi les plus touchés.
Pour limiter les effets de l'isolement sur cette fracture numérique, les associations redoublent d'efforts depuis le début de la crise. Emmaüs Connect a ainsi lancé début avril, en partenariat avec la mairie de Lille, un appel aux dons appelant entreprises et particuliers à mettre à disposition du matériel numérique. Baptisé "Connexion d'urgence", le dispositif a déjà permis de récupérer une centaine d'équipements.
"Il y a une grosse demande, notamment pour les tablettes et les PC, de la part de structures qui accompagnent des jeunes en précarité, comme des foyers de jeunes travailleurs", souligne Simon Maréchal, responsable régional Emmaüs Connect pour les Hauts-de-France.
Un vrai problème d'équité
Cette crise "met en évidence un phénomène dont on connaissait l'existence, mais qui est exacerbé et met les publics dans une extrême précarité. Un élève dont les parents ne sont pas à l'aise avec ces usages numériques se retrouve lésé pour suivre les cours à distance", relève-t-il. "Il y a un vrai problème d'équité", qui augmente "avec la durée du confinement".
Le confinement risque aussi d'accentuer l'isolement social. Lancé en 2017, le projet "Centres sociaux connectés" accueille habituellement les habitants dans des centres pour les accompagner dans leurs démarches administratives en ligne. Mais avec l'épidémie, les équipes ont dû s'adapter.
"On s'est demandé comment maintenir le lien social malgré la fermeture. Notre priorité est de trouver les profils les plus éloignés où il y a une vraie rupture", affirme Florian Soudain, coordinateur de l'opération Centres sociaux connectés sur le versant sud de la métropole de Lille. Et des effets sur la vie quotidienne : "quelqu'un ne maîtrisant ni le français, ni les outils numériques sera à la peine pour les attestations de sortie".
Le dispositif, co-financé par l'Union européenne, a donc lancé "Mon centre social à la maison", une plateforme qui propose des ressources éducatives pour les familles ayant accès au numérique, des tutoriels mais aussi des permanences téléphoniques pour accompagner les habitants dans leurs démarches.
Depuis qu'elle peut utiliser le smartphone de sa fille, Mme Mille dit "se sentir moins seule". "Je peux payer mes factures, mon loyer, communiquer avec mes proches", énumère-t-elle. Mais la crise sanitaire a laissé des empreintes irréparables.
"Mon père est décédé du coronavirus, mais je ne l'ai su que 10 jours après parce qu'on nous a envoyé un mail. Nous n'arrivons pas à faire le deuil", lâche-t-elle, éplorée.