A Grande-Synthe : "C'est plus facile de passer enceinte qu'avec un bébé"

Dans le camp de Grande-Synthe, l'accompagnement des femmes enceintes est complexe. Rythmes de vie décalés, peur de laisser des "traces" d'un passage en France... Certaines se sentent obligées de prendre beaucoup de risques, notamment en tentant un passage en Angleterre à 8 mois de grossesse.

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La césarienne était programmée à la maternité, les vêtements du futur bébé déjà empaquetés, mais à la veille de l'accouchement, Sema a disparu du camp de Grande-Synthe pour passer en Angleterre, à huit mois et demi de grossesse. Pour les sages-femmes de Gynécologie sans Frontières (GSF), l'inquiétude cède
vite le pas à l'action, une fois la future maman jointe par téléphone. "Il faut que vous alliez à l'hôpital le plus vite possible!"

L'interprète tente de lui envoyer son dossier médical. Peine perdue: Sema (les prénoms ont été modifiées), passée avec son fils de 5 ans, refuse tout ce qui pourrait prouver son passage en France. Elle se débrouillera, en attendant que son mari la rejoigne avec son second fils. "Elle s'est dit que c'est plus facile de passer enceinte qu'avec un bébé", soupire Isabelle Rieux, infirmière de GSF, qui prend la chose avec fatalisme : "Pour elle, c'est sans doute une délivrance."

Des cas comme celui-ci, la petite équipe en voit de temps en temps ("les gens sont libres, le camp n'est pas fermé") sur le site où vivent une centaine de femmes, la plupart en familles, avec des enfants très jeunes. Chaque jour, les bénévoles - qui prennent sur les congés pour ces missions - font le tour des chalets du camp. Ici une femme demande une échographie, là une autre s'inquiète de la dose de paracétamol à donner à son bébé. "On ne fait pas d'obstétrique. Notre travail est de mettre en confiance, de voir les enfants aussi, de faire de la prévention, et de suivre les femmes quand elles sont enceintes", explique Isabelle Rieux. Un travail commencé fin 2015 dans une petite fourgonnette, sur l'ancien campement boueux de Grande-Synthe, mais qui pourrait bien être menacé après la mi-avril si GSF, qui peine à trouver des subventions publiques, ne parvient pas à se renflouer.

"Le camp, c'est dur!"

En ce moment, une dizaine de grossesses sont suivies, "parfaitement normales, elles rentrent après trois jours de la maternité avec leur bébé". Un travail toutefois compliqué par le rythme particulier du camp où "la notion d'horaire n'existe pas, la nuit c'est fait pour passer et la journée pour dormir", souligne Isabelle Rieux, mais un travail indispensable pour aider ce public fragilisé par le parcours migratoire et la promiscuité. "Le camp, c'est dur! Les hommes boivent, ils se battent" raconte Asna, venue se réchauffer dans le "Women's Center".

Dans le bâtiment égayé de coussins et de fanions de couleur, les femmes peuvent recevoir du lait maternisé, des cours d'anglais, discuter avec des volontaires dont certaines jouent les apprenties coiffeuses... "C'est bien ici parce qu'il n'y a pas d'hommes", assure Amina, qui s'indigne: "On n'ose pas aller aux toilettes le soir!" Une visite aux sanitaires voisins permet de comprendre pourquoi: de larges trous ont été creusés dans certaines portes, dont toutes ne disposent pas de cadenas en état de marche, au grand dam des bénévoles qui obstruent avec du carton ces menaces à l'intimité.

Car les femmes sont particulièrement vulnérables. Dans le nord de la France où plusieurs camps existent, "70% des migrantes ont subi des violences, notamment sexuelles", à un moment ou à un autre de leur parcours, selon GSF qui déplore "prostitution imposée, viols et violences conjugales". Ces violences subies sur le trajet se poursuivent-elles sur le camp? "Plus il y a de monde, plus il y a de violence, c'est mathématique, mais les femmes sont encore plus vulnérables quand elles sont en dehors", notamment "au moment des tentatives de passage", observe Richard Matis, le président de GSF.

Dans ce contexte, "un démantèlement ne fait qu'augmenter le problème", ajoute M. Matis, qui a constaté "une hausse des viols et des demandes d'avortement après le démantèlement de la "Jungle" de Calais". "C'est pour ça qu'on a mis en place un "refuge" pour femmes en danger", poursuit-il. Ce lieu confidentiel, d'une capacité de six places, permet une prise en charge pendant quelques jours.
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