Guerre en Ukraine : menacée, insultée, la communauté russe des Hauts-de-France dénonce un "amalgame idiot"

Menaces, insultes, préjugés… La communauté russe de la région subit les conséquences de la guerre en Ukraine. A Lille, deux restauratrices, l'une d'origine russe, l'autre d'origine ukrainienne, ont reçu une lettre leur intimant de "quitter la France dans les meilleurs délais".

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Le courrier est arrivé mardi matin dans la boîte aux lettres du restaurant "Baba Yaga" rue Solférino à Lille. Un lieu où l'on propose le partage et la découverte d'une cuisine ukrainienne et russe. Ukrainienne comme les origines de Marina. Russe comme celles de Natacha.

Natacha est la première à avoir découvert le contenu de l'enveloppe. "On a été choquée. Oui… choquée… oui…" Les mots ne viennent pas facilement. Marina enchaîne : "Quand j'ai vu cette lettre, je me suis dit : ça-y-est, c'est arrivé. Je m'y attendais un petit peu. En 2014, on a déjà eu un peu de souci quand le conflit en Ukraine a éclaté".

"Objet : départ"

La lettre est signée des "Français adorateurs de la démocratie et du respect des pays souverains". Son objet ne laisse place à aucune ambiguïté. Il est intitulé par ce simple mot : "départ". Le courrier commence avec le prénom du président russe. "Vladimir a besoin urgemment de vos talents culinaires pour soutenir le moral de ses troupes russes qui ont ce matin envahi l'Ukraine", commencent le ou les auteurs restés anonymes. "Vous n'avez plus qu'à quitter la France dans les meilleurs délais. (…) Votre présence n'est absolument plus souhaitée en France. Vladimir vous expliquera pourquoi".

Les deux femmes n'éprouvent ni peur, ni colère, mais une réelle tristesse. Elles ont décidé de porter plainte et ont partagé la lettre sur les réseaux sociaux. Une formidable vague de soutien a suivi. "Ça fait du bien au cœur, c'est énorme", nous confie Marina. En réponse, certains dénoncent la bêtise humaine. D'autres expriment leur solidarité : "Ne baissez pas les bras, vous êtes sur le sol français", écrit Patricia. "Vous êtes des nôtres à part entière".

Défendre la culture russe

Natacha et Marina ont par ailleurs reçu une lettre de la mairie de Lille. Une voisine s'est également indignée de cette violence verbale. Les restauratrices savent que la grande majorité des gens en France ne font pas cet "amalgame idiot". Sans haine, elles constatent : "ce conflit fait ressortir le meilleur et le pire des gens. (Cette lettre), c'est une expression du pire".

Les deux femmes défendent cette autre façon de parler de la Russie : "La cuisine est l'un des vecteurs de la culture les plus importants, l'un des plus faciles à appréhender. On veut garder ça. Les recettes du Borsch, les feuilles de choux farcies ne vont pas changer parce que Poutine a envahi l'Ukraine. Ça va rester. Ça a été avant Poutine, ça restera après Poutine".

La peur d'un épicier 

Cette confiance, certains l'ont d'ores et déjà perdue dans les Hauts-de-France. Marié à une Russe, un épicier de la région a accepté de nous raconter sa "peur" sous couvert d'anonymat. Sa vie a changé avec le conflit. Des amis ukrainiens vivant à Boulogne ne veulent plus lui parler.

Sa boutique spécialisée dans les produits russes devrait bientôt fermer faute de clients. Il en est presque "soulagé" désormais. "Nous avons enlevé le nom sur la devanture", poursuit-il. En attendant, il mettra une sonnette pour ne laisser entrer que les clients de son choix.

"Je n'ai pas honte de parler russe"

D'autres heureusement veulent encore croire à la paix et à la réconciliation. "Les Russes que je connais ici sont tous contre la guerre", insiste Katya. Mariée à un Français, elle s'est installée dans l'agglomération lilloise il y a bientôt dix ans. "J'ai appris la langue en arrivant ici. On était tranquille toutes ces années ". Fondatrice d'une association franco-russe, elle met en valeur sa culture d'origine en France. 

Mais les choses ont changé avec le conflit. Pour exemple, une amie ukrainienne lui a suggéré d'arrêter de parler russe sur le sol français. "Elle m'a dit qu'on allait parler en anglais. Mais on ne va quand même pas parler anglais…", s'indigne-t-elle. "Je n'ai pas honte de parler russe et de lire en russe. Mon mari apprend le russe".

Actuellement, les gens pensent que si tu es Russe, tu es pro-Poutine. Il y a autre chose en Russie que le président. On doit garder le moral.

Katya, une Russe installée dans l'agglomération de Lille

Katya ne veut pas s'étendre sur la politique. Elle nous glisse malgré tout être excédée par "la guerre d'information" notamment sur les réseaux sociaux. "Je n'accepte pas qu'on dise que les Russes sont fascistes. Il ne faut pas généraliser". Les commentaires sont parfois d'une agressivité sans limite. "C'est plus verbal qu'autre chose", se rassure-t-elle. "Moi, je coupe les contacts avec les gens agressifs".

Katya s'inquiète pour sa famille restée en Russie et qui va devoir supporter les restrictions. Elle essaiera de les aider comme elle peut depuis l'agglomération lilloise. D'aider les Ukrainiens aussi. Avec son mari, Katya s'est portée volontaire pour accueillir une famille de réfugiés. Elle ne se fait pas d'illusion : "J'ai peur que les Ukrainiens n'aient pas envie de venir chez nous parce que je suis Russe".

Des tensions latentes depuis longtemps ?

Lydia, 23 ans, est étudiante à Lille. Elle nous a demandé de changer son prénom par discrétion. La jeune femme est née en France d'une mère russe. Elle le sent nettement : le conflit en Ukraine attise les crispations. Et de nous raconter les récentes insultes d'un "ami d'ami" lui jetant à la figure à propos de sa colocataire également russe : "Ta coloc, j'espère qu'elle va retourner dans son pays !".

Pour l'étudiante, la guerre a accéléré des sentiments latents en France : "Ça fait longtemps qu'on entend des réflexions genre "Oh ! Je n'aime pas les Russes. Ils sont méchants et pas drôles". Il y a toujours eu des préjugés". Elle nous raconte combien sa mère s'est souvent énervée en rentrant du travail parce qu'elle avait eu le sentiment d'être insultée. La faute peut-être à cette culture des films américains qui nous ont souvent présenté les Russes dans le rôle de l'ennemi. "Ici, on connait Dostoïevski, mais pour trouver des livres contemporains russes, c'est impossible".

"On ne veut plus voir cette autre Russie"

Lydia est lucide sur la Russie. Elle n'oublie pas qu'à Moscou, on lui conseillait de ne pas parler politique. "Le peuple souffre. Il est désinformé". Avec nous, elle veut surtout évoquer les longs séjours de son enfance dans les montagnes caucasiennes, les paysages magnifiques, son stage d'étude… Elle nous parle de la "vie douce" loin de l'image parfois véhiculée. Alors elle regrette : "On ne veut plus voir cette autre Russie en ce moment".

Son deuxième pays, elle espérait pouvoir s'y rendre l'été prochain, mais elle n'y croit plus vraiment. En attendant à Lille, elle se rend dans les épiceries comme le "Comptoir de l'Est" pour pouvoir cuisiner russe. Mais même là, ses craintes grandissent. Avec les embargos, trouvera-t-on encore longtemps les produits russes en France ? Plus que jamais, elle se sent coupée d'une partie d'elle-même. 

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