Les Français sont appelés aux urnes les 12 et 19 juin prochains pour les élections législatives. Alors que le paysage politique se redessine, certains partis jouent leur survie et pas seulement en terme d'influence. L'argent reste aussi le nerf de la guerre : les législatives représentent une manne importante sur cinq ans.
"Les finances des partis, pardonnez-moi, mais on s’en bat les c… !" Pierre-Henri Dumont est un peu agacé par notre question. A moins de cinq semaines des élections législatives, nous l’interrogeons sur la place du scrutin dans la survie financière des partis.
Le député Les Républicains du Pas-de-Calais précise : "Franchement, ça n’est pas l’enjeu ! L’important, c’est de savoir quelle alternative on va offrir aux Français. Sinon, on aura un populiste à la tête du pays demain". Mais d’admettre malgré tout : "Evidemment, pour ça, il faudra de l’argent".
Aux origines du financement public
Or, en France, les législatives sont l'occasion quasiment unique d’obtenir un financement public. Et cela depuis la fin des années 1980. Plusieurs scandales financiers éclaboussent alors la vie politique. « Avant, il n’y avait rien », nous explique le politologue Bernard Dolez. « Il n’y avait aucune règle. En termes de financements des partis, rien n’était autorisé, rien n’était interdit".
La porte ouverte aux financements opaques comme l’affaire Urba sur les conditions d'attribution de marchés publics par le parti socialiste ou encore l'affaire de la Lyonnaise des Eaux à droite. "Ça a été pénalement condamné. C’est surtout devenu socialement inadmissible".
Un élu = 37400 euros par an
Pour moraliser la vie publique, les financements privés des entreprises sont interdits. Seuls les cotisations ou les dons sont maintenus. Une dotation publique permet de compenser : elle dépend à la fois du nombre de voix obtenues aux législatives (première fraction) et du nombre d’élus au Parlement (deuxième fraction).
Les partis peuvent bénéficier de la première fraction à condition d’avoir obtenu 1% des suffrages exprimés dans au moins 50 circonscriptions en France. Chaque électeur rapporte 1,64 euros par an au parti concerné. Seuls les suffrages du premier tour sont comptabilisés.
La loi est conçue pour que le financement soit à l’image du poids politique des partis. Il faut un seuil minimum de voix et un nombre de candidats pour attester de l’existence d’un courant politique dans le pays
Bernard Dolez, politologue
La deuxième fraction dépend, elle, du nombre de candidats effectivement élus. Il faut être concerné par la 1ère fraction pour pouvoir en bénéficier. Chaque élu au Parlement permet aux partis de gagner 37400 euros par an. Pour Bernard Dolez, la loi est « conçue pour que le financement soit à l’image du poids politique des partis. Il faut un seuil minimum de voix et un nombre de candidats pour attester de l’existence d’un courant politique dans le pays ».
En 2022, comme chaque année depuis 2017, l'aide publique s'est élevée à plus de 66 millions d'euros. Seize partis en ont bénéficié.
Tractations politiques : 50 circonscriptions minimum
Comprendre ce système de financement éclaire évidemment les récentes tractations entre partis politiques. A gauche notamment : pendant les négociations de la Nupes, "on avait tous un objectif de financement public", reconnaît Marine Tondelier, co-trésorière Europe Ecologie – Les Verts. "Ça a rajouté un paramètre".
Pour assurer leur avenir, Parti socialiste, Parti communiste et Ecologistes ont tous exigé à La France Insoumise d'être présents dans 50 circonscriptions au moins. Quasiment assurés de faire 1% des suffrages exprimés grâce à l'accord, les partis de gauche se sont ainsi garanti une solide dotation pour les cinq prochaines années. Elu ou pas élu, un candidat est "rentable" pour son parti dès cette première étape.
Rentable, le candidat l'est évidemment encore davantage s'il dépasse les 5% des suffrages exprimés. Dans ce cas-là, 47,5% du plafond de campagne est remboursé par l'Etat. Ce plafond est fixé circonscription par circonscription. "Sauf miracle, la nouvelle union populaire ne va pas remporter le scrutin", poursuit Bernard Dolez. "L’objectif est de passer le plus souvent possible le premier tour, (…) mais c'est aussi de garder des ressources. Sinon, c’est la mort".
Un système à transformer ?
Du côté des Républicains, Pierre-Henri Dumont se satisfait de ce système de financement, "un système juste qui repose sur une photographie du pays" : "Je ne veux pas me retrouver comme aux Etats-Unis où les élus passent leur temps à chercher des fonds (…) Il faut de la transparence et cela passe par les urnes".
Une vision loin d'être partagée par EELV. Marine Tondelier y voit "un système digne de l'ancien monde, pensé par les vieux partis dans les années 1990. Partis qui en ont été les premières victimes d'ailleurs !" En 2017, le PS voyait son nombre de députés tomber à seulement 28. Une défaite politique historique qui a plongé le parti de gauche dans un marasme financier l'obligeant à vendre son fameux siège de la rue Solférino à Paris. Cinq ans plus tard, le parti Les Républicains risque le même sort.
L'élue écologiste en appelle à prendre en compte d'autres élections : "Le financement ne peut pas être un couperet une fois tous les 5 ans. Il faudrait lisser ce financement d’élection en élection".
L'abstention, un danger pour les finances des partis
Le système de financement public est-il à bout de souffle ? La question mérite plus que jamais d'être posée au regard de l'abstention. Le 18 juin 2017, pour le deuxième tour des législatives, 57,38% des inscrits ne s'étaient pas déplacés aux urnes.
Chaque voix non exprimée est un manque à gagner pour les partis politiques. "Moins il y a d’électeurs qui se déplacent, moins il y a d’entrées financières", confirme Bernard Dolez. "La survie politique dépend des finances".