Large score mais curieuse ambiance. La réelection de Damien Castelain à la présidence de la MEL pose question.
Pas de campagne. Pas de débat public. Un scrutin joué d'avance. Un exercice d'arithmétique. "Un trou noir démocratique" selon un élu. L'élection du président de la Métropole Européenne de Lille, ce jeudi 9 juillet, ne va pas aider les électeurs à se réconcilier avec la politique. Damien Castelain (DVD) est réélu pour six ans avec une très large majorité - 68% des élus communautaires - alors qu'il est sous le coup de deux mises en examen et qu'il se retrouvera bientôt devant un tribunal, alors que son bilan est très contesté. Les grands projets ont été absents. La réorganisation des transports en commun a été très critiquée. Le déménagement de la MEL vers son nouveau siège, le fameux "Biotope", est étrillé par la Chambre Régionale des Comptes.
Mais c'est ainsi : Damien Castelain - élu maire par 320 voix dans sa commune de Péronne-en-Mélantois - garde en main les rênes d'une métropole d'un million d'habitants et d'un budget de deux milliards.
"Il n'a en main les rênes de rien du tout, rectifie l'écologiste Stéphane Baly, battu de 227 voix à Lille par Martine Aubry aux élections municipales, lui même élu communautaire. Damien Castelain est réélu parce que Martine Aubry et son groupe ont appuyé sa candidature et voté pour lui. En échange, Martine Aubry a obtenu le maximum pour sa ville, au même titre que le maire d'un village a obtenu des pavés neufs pour le parvis de son église. C'est une vision étroite et égoïste de la Métropole. Tous les élus qui ont voté pour Damien Castelain pensent d'abord à leur propre commune. Au final, c'est un naufrage démocratique. C'est d'une grande tristesse."
Dans son viseur, le maire (LR) de Marcq-en-Baroeul, Bernard Gérard. En 2014, Damien Castelain lui avait planté un couteau dans le dos en s'alliant à Martine Aubry, à la toute dernière minute, le privant ainsi d'une présidence qui lui tendait les bras. Six ans plus tard, Bernard Gérard vote pour Damien Castelain et sauve sa vice-présidence. Réaliste.
Curieuse ambiance
Réaliste... et injoignable. C'est le grand paradoxe de cette réélection : bon nombre d'élus qui ont voté pour Damien Castelain refusent d'afficher ouvertement leur soutien. Curieuse ambiance. "De toute façon, dit un adjoint au maire, tout le monde a en tête que le Parquet de Lille a requis le mois dernier un procès pour le président de la MEL, pour recel d'abus de confiance, dans l'affaire du Stade Pierre Mauroy. Damien Castelain n'y coupera pas. Il ira au tribunal. S'il est condamné, il devra partir. On est juste là pour gagner un peu de temps. C'était d'ailleurs le sens du long préambule de Roger Vicot, lors de sa prise de parole."Roger Vicot, numéro deux sur la liste de Martine Aubry aux élections municipales et maire (PS) de la commune associée de Lomme, a appelé à voter pour Damien Castelain... tout en préparant son éventuel largage. Il a fustigé ces politiques poursuivis en justice, responsables de l'indifférence et du rejet des électeurs, responsables du "tous pourris". Il a défendu le "devoir d'exemplarité" des élus, l'éthique, le strict respect de la loi. Pour Roger Vicot, la condamnation d'un élu ne peut mener qu'à sa démission. Un jeu dangereux ? "Cette fausse pudeur du PS, personne n'y croit, réagit Stéphane Baly. Cette longue tirade de Roger Vicot avait quelque chose d'indécent." Car la menace est réelle pour Damien Castelain. Dans une autre affaire, celle des notes de frais, le président de la MEL crie son innocence... tout en remboursant à la Métropole les sommes qu'il nie avoir détournées ! 20 542 euros et 3 centimes.
Prudents et silencieux, les maires de Tourcoing et Roubaix, Darmanin et Delbar, ont préféré rejoindre les rangs de l'opposition dans la nouvelle assemblée communautaire.Enfin, deux élus ont vainement tenté, juste avant le vote, de contrer l'élection du président. Bernard Debeer (maire DVD de Herlies) et Marie Tonnerre (maire LR de Neuville-en-Ferrain) ont demandé que soit lu en début de séance le rapport de la Chambre Régionale des Comptes sur les finances de la MEL. Ce qui leur a été refusé.
"C'est pourtant la loi, précise Marie Tonnerre. C'est écrit noir sur blanc dans le rapport, il doit obligatoirement être inscrit à l'ordre du jour de la séance qui suit sa publication. Damien Castelain a délibérément choisi de ne pas le faire. Ça pose question."
Ce rapport reconnaît des finances équilibrées et une baisse de l'endettement, mais il étrille le déménagement de la MEL vers le "Biotope", son nouveau siège. Trop cher. Trop petit. Trop flou. La location du Biotope représente un surcoût de 41,7 millions d'euros sur une durée de 36 ans, par rapport au premier projet qui prévoyait la construction d'une tour sur l'emplacement de l'ancien siège. "La location du Biotope est financièrement plus onéreuse, écrit la Chambre Régionale des Comptes. Le choix s'est fait dans la précipitation, sur la base d'études financières insuffisantes." De plus, le nouveau bâtiment a été conçu pour accueillir 900 personnes; 1800 agents travaillent pour la MEL. "On nous a menti lorsqu'on nous a présenté ce projet, avec un dossier incomplet et insincère, accuse Rudy Elegeest, le maire (DVG) de Mons-en-Baroeul. La Chambre Régionale des Comptes confirme que les chiffres étaient biaisés."
Damien Castelain entame son second mandat à la tête de la Métropole Européenne de Lille. Largement élu mais terriblement seul.