Nous sommes entrés dans "le musée le plus instagrammable d'Europe" à Euralille. Le pari du reportage ? Tenter de comprendre le rapport des jeunes à leur image et aux réseaux sociaux. Vaste tâche.
Un lieu unique en France, aussi étonnant que déroutant. Le Smile Safari n'est ni vraiment un musée, ni un studio photo. Un concept hybride, peut-être. Son créateur, Hannes Coudenys, un Belge à la tête d'une agence de communication, le présente comme le "musée le plus instagrammable d'Europe". On est allé y faire un tour.
Univers ultra coloré, le Smile Safari propose une cinquantaine de décors pop devant lesquels on prend la pose. "On est à la recherche de la photo parfaite", raconte Nicolas, 28 ans, venu avec sa femme, Ornella, et son smartphone, objet indispensable ici. Car souvent, les clichés pris finissent sur les réseaux sociaux : Instagram, Tik Tok ou encore Snapchat.
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"Ici, le visiteur c'est l'œuvre d'art", affirme le directeur de l'établissement, qui s'est installé le 30 octobre 2021, dans un espace de 1 000 m² au premier étage du centre commercial Euralille, près de la gare Lille. Un concept né à Bruxelles, en 2019, dans la tête de ce même Hannes Coudenys, qui envisage même d'ouvrir un autre "musée" à Paris "dans l'avenir."
Lieu "insolite"
"Oh regarde la tête que je fais..." Devant ce mur couvert de smileys jaunes, Eva n'a pas l'air conquise par sa pose. Son ami, Louis, refait la photo. Une, deux, trois fois. Plusieurs fois. Elle en sourit : "c'est ridicule." Sa copine Clara la rassure : "mais non." Le petit groupe déambule à travers les 1 000 m² du Smile Safari, enchaîne les shootings, et semble bien s'amuser.
Comme Eva, Clara et Louis, ils sont près d'un millier de visiteurs à être entrés (pour un prix de 20 euros) dans ce "musée" depuis son ouverture il y a une semaine. Mais d'où vient ce succès ?
Lorsqu'on demande aux jeunes et aux familles présentes ce samedi après-midi, on répond que l'endroit est "insolite", "super coloré", qu'on y fait des photos "originales", que c'est "ludique" et qu'on "s'y amuse bien". Une simple sortie entre amis pour certains, une course aux likes et à la réputation sur les réseaux sociaux pour d'autres. Et parfois - souvent - c'est un peu les deux à la fois.
Instagram, TikTok, et les réseaux sociaux sont devenus des outils incontournables de notre société. Le créateur du Smile Safari l'a bien compris et surfe sur ce phénomène de société.
"Oui, j'ai envie que mes photos plaisent"
Héloïse s'installe sur le capot d'une Cadillac rutilante, rose flashy, dans un décor de clip de rap à l'américaine. Elle regarde l'objectif, change de profil, puis laisse son tour aux autres filles. "Oui, j'ai envie que mes photos plaisent", avoue cette étudiante de 22 ans, qui compte publier ses photos sur Instagram.
Dans son groupe d'amies, elles ne sont pas ce qu'on appelle des influenceuses, et pourtant, elles s'attachent aux réactions (mentions j'aime, commentaires) que génèrent les personnes qui les suivent sur les réseaux sociaux. "C'est hyper valorisant et ça fait du bien de recevoir des commentaires de certaines personnes que je connais", glisse Caroline, étudiante en médecine âgée de 23 ans.
"On veut montrer une bonne image de soi"
Derrière tous ces sourires affichés au Smile Safari, il y a cette quête de la photo idéale. Cette quête de l'estime de soi.
Eva, 20 ans, est soigneusement apprêtée. À côté d'un distributeur de donuts et de licorne, elle ajuste sa posture. "On veut montrer une bonne image de soi, dit-elle. Je ne me vois pas afficher ma tête au réveil par exemple..."
Cette Lilloise, étudiante en échange au Japon le reste de l'année, parle avec lucidité des effets d'Instagram. Sur elle, sur son corps, sur son bien-être, sur sa confiance en elle. "Dans mon cas, j'ai fait des injections au visage pour ressembler à cet idéal féminin qu'on nous montre, et auquel je ne ressemblais pas avant, raconte-t-elle. J'ai voulu changer pour me sentir mieux."
Le danger des réseaux sociaux
"Le grand défaut de ces réseaux sociaux, c'est que ça peut générer de la frustration chez certaines personnes qui manquent de reconnaissance, glisse Clara, son amie. Si on ne reçoit pas de like sur notre photo, on se demande pourquoi."
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Souvent, la question de l'estime de soi revient dans la bouche des jeunes, utilisateurs fréquents des réseaux sociaux. "On attend quelque chose des autres, dit Eva. Car grâce aux autres, on arrive à avoir confiance en soi."
Ouvert jusqu'en juin 2022
À la sortie du Smile Safari, on croise une mère et sa fille. Deux générations, deux points de vue différents sur les réseaux sociaux. "Je surveille le temps qu'elle y passe, explique Karine, la maman. Je lui explique que c'est de la perte de temps, que ce sont des moments qu'on ne vit pas avec ses amis." Noorjahan, collégienne de 14 ans, n'est pas de cet avis. Elle se "divertit" sur Instagram.
En tout cas, comme toutes les personnes interrogées ce jour-là dans ce "musée" d'un nouveau genre, elles ont toutes les deux passé un bon moment.
Le Smile Safari restera ouvert jusqu'en juin 2022, avant de peut-être se pérenniser si le public reste au rendez-vous.