Le réseau de recherche international Research.com vient de publier son classement des meilleurs chercheurs dans le domaine médical au monde. Deux lillois sont répertoriés.
Ils sont des références à Lille et personne ne s'étonnera de les retrouver là. Dans ce classement effectué discipline par discipline, on retrouve donc deux chercheurs de l'EGID (Université de Lille/UFR35, Inserm, CNRS, CHU de Lille, Institut Pasteur de Lille) qui obtiennent pour le professeur Philippe Froguel la 121ème place mondiale et la 177ème place pour son collègue le professeur Bart Staels, classé lui-même premier en France.
"Les deux chercheurs Français les plus cités au monde travaillent sur le diabète et sont à Lille"
Ce classement est le fruit de plus de 30 ans de recherche, impliquant au fil des années des chercheurs et des médecins grâce auxquels toutes ces publications ont pu être réalisées. Le professeur Philippe Froguel spécialiste en génétique et biologie moléculaire occupe la 29ème place mondiale et la 15ème en Angleterre, enseignant à l'impérial Collège, il n'a pu être classé en France mais si celui-ci l'avait été, d'après les coefficients utilisés par Resaerch.com, il serait numéro 1 dans l'hexagone.
Malgré ce classement et peu importe la place, le professeur Froguel reste modeste, il nous raconte comment il apprit la nouvelle depuis Londres où il enseigne. "C'est le professeur Bart Staels qui m'a envoyé les résultats, je ne savais pas du tout que nous étions cités dans un classement mondial et c'est quand même étonnant que les deux chercheurs Français les plus cités au monde et qui travaillent sur le diabète soient à Lille", explique Phillipe Froguel.
On a tellement l'habitude de se flageller dans le Nord, qu'il était important pour nous de partager ce moment avec le public.
Phillipe Froguel
Une pointe d'amertume
Malgré ce classement international récompensant des années de travaux sur le diabète, le professeur Froguel ne cache pas son amertume. Cette distinction n'aura aucune conséquence financière pour son laboratoire et il n' aura sans doute pas plus d'aides que d'habitude pour ses recherches et pire : "Ça va nous apporter la jalousie de nos collègues, pour exemple nous avons envoyé les résultats du classement à nos collègues, président de l'université et même au doyen de l'université et il n'y en a pas un seul qui nous a félicité à ce jour", et à la question sur les egos dans le monde de la recherche, Philippe Froguel répond en éclatant de rire : "il y a tant de gens qui ne sont pas égaux mais qui ont de gros égos".
Au-delà de l'anecdote, le chercheur pointe du doigt le manque de dialogue entre les différentes institutions qui font la recherche et la médecine dans les Hauts-de-France. Il précise aussi que le Président de la Région Hauts-de-France, Xavier Bertrand, souhaite mettre au cœur de son mandat, l'innovation dans le domaine de la recherche scientifique. "J'ai demandé à rencontrer le Président de la Région avant l'été pour discuter avec lui du problème de la recherche dans notre région, une région qui n'en n'était pas une à une époque et le Nord Pas-de-Calais et la Picardie se livrent encore aujourd'hui à une concurrence féroce en matière de recherche", termine le chercheur.
L'innovation et la recherche oui, mais chacun de son côté
Dans une région où la recherche et l'innovation sont loin dernière certaines autres régions de France, le professeur Froguel qui a créé le Centre National de Médecine de précision PrecidIAB a souhaité à l'époque associer le CHU d'Amiens, à la pointe en matière de recherche sur le rein. Une décision qui a eu du mal à passer au sein du CHU de Lille.
Les chercheurs boudent les Hauts-de-France
"Les Hauts-de-France de la science et de la recherche médicale, ça n'existe pas et moi, j'aimerais que ça existe parce que l'on a pas la masse critique et la réalité c'est qu'il y a deux fois moins de chercheurs ici que dans d'autres régions de même taille que la nôtre. C'est un problème d'attractivité", ajoute le le professeur Froguel.
Pourtant, le créateur du laboratoire de recherche PrecidIAB reconnaît qu'au sein de son équipe, il y a des chercheurs venus d'Angleterre, de Belgique, de Paris et aussi des départements ultramarins, mais ce n'est pas suffisant. Son laboratoire est devenu la référence incontournable pour les agences gouvernementales comme l'INSERM, pour son excellent travail sur le diabète et l'obésité.
Le professeur souhaite que cesse cette politique de clocher entre les CHU des Hauts-de-France et rêve, comme l'ont fait les Anglais et qui sont aujourd'hui toujours en avance en matière de recherche médicale, de rassembler les chercheurs même avec leurs divergences, sinon, zéro budget. C'est Tony Blair qui a eu l'audace de le faire quand il était Premier ministre et cela fonctionne très bien aujourd'hui outre Manche.
Le premier Français, le Belge Bart Staels comprend l'amertume de son collègue Philippe Froguel. Lui non plus n'a reçu aucune félicitation pourtant premier en France dans son domaine et explique que le monde a changé. "Nous ne sommes plus à l'époque de Pasteur ou des sociétés royales, des académies ou les chercheurs étaient en concurrence dans un même pays. La mondialisation a fait entrer la recherche scientifique dans la compétition internationale".
"Aujourd'hui, on est comme un coureur du tour de France, on se doit d'être le premier à découvrir des choses à cause de l'environnement et du système d'évaluation de la recherche comme le prix Nobel, qui identifie un deux ou trois chercheurs et tous ceux qui ont travaillé avec le lauréat sont souvent oubliés, mais c'est le système qui veut ça", regrette le Professeur Staels en ajoutant en anglais "publish or perisch (publier ou mourir).
Le constat est sans appel : sans publication dans les plus grandes revues scientifiques du monde, pas de visibilité et donc pas de financement.
La lourdeur administrative
Le professeur Staels spécialiste en matière de recherche cardiovasculaire et du diabète, insiste lui sur la lourdeur du système français et reconnaît que les britanniques ont fait un bond en avant spectaculaire en sortant le vaccin contre le Covid en un an seulement.
"C'était du jamais-vu depuis la grippe espagnole, cette pandémie a permis de réaliser très vite un vaccin ARN en un temps record avec un passage en application clinique très vite", explique le professeur.
Bart Staels, ajoute qu'en France cela aurait été impossible, à cause, de la lourdeur du système administratif et de notre recherche. "Chaque scientifique qui se respecte se demande toujours comment améliorer la vie d'un malade. Nous cherchons l'excellence en matière de recherche, au service du patient, mais le système français fait que ça traîne et parfois. Il faut se poser la question de savoir s'il faut continuer à chercher en France ou partir à l'étranger, même si l'herbe n'est pas plus verte ailleurs". Le chercheur espère un changement de système des universités. En France les présidents d'université sont élus et pour lui, ce n'est pas normal, c'est un frein de plus à la recherche scientifique.
Le professeur Staels a, comme son confrère Philippe Froguel, un rêve mais veut rester terre-à-terre en concluant : "j'espère que dans les années à venir, au moins à minima, l'on ne nous empêchera pas de continuer à travailler avec nos chercheurs et nos étudiants dans ce contexte de concurrence international très rude."