Le 15 mars 2001, le disquaire indépendant Urban Music, situé dans la rue Saint-Nicolas à Lille, ouvrait ses portes. 20 ans après, Pascal, alias DJ Pass, en est toujours le patron. Portrait.
Normalement, un disquaire qui fête son anniversaire, ça s'entend. Mais la ritournelle du Covid-19, désormais trop connue, joue sur le mode de l'annulation. Tant pis, Pascal remettra cela. Car sa boutique, Urban Music, entre dans sa vingtième année d'ouverture dans son petit local "underground", comme lui, de la rue Saint-Nicolas, à l'ombre du géant du secteur, la FNAC.
Sa longévité n'est pas due à la protection de cette célèbre figure catholique mais à la religion de sa vie, "la black music", à qui il est resté fidèle depuis l'ouverture : la soul, le funk, le jazz et le hip-hop comme compagnons d'une vie. "Je ne vends pas n'importe quoi, avant la mise en rayon, j'écoute et je valide", explique celui qui est également connu sous son nom de scène, DJ Pass. Il tacle : "je ne vends pas de Jul (un rappeur marseillais, ndlr), même si je respecte son parcours".
Pour sûr, Pascal, 52 ans, béret sur son crâne chauve et veste camel, cultive son snobisme depuis la naissance de sa sensibilité musicale. Par principe, un titre est mauvais quand il est trop connu. Il a fait sienne la démarche d'un groupe de rap français, la Screed Connexion, jamais dans la tendance mais toujours dans la bonne direction. Quitte à en rire : "un moment j'étais considéré comme «has been» car je ne voulais pas vendre les titres qui marchaient commercialement".
Il se fait connaitre sur la radio locale RPL
Depuis son ouverture en 2001 (Martine Aubry n'était pas encore maire de Lille et le World Trade Center se tenait debout), les diamants de ses platines vinyl ont creusé leur sillon en frôlant, parfois, la sortie de disque. A l'époque, Pascal décide d'ouvrir sa boutique sur le modèle d'un disquaire appelé Urban Music, situé à Châtelet, à Paris : "nous vendions alors des vinyls à destination des DJs, surtout des mixtapes et des maxi 45 tours". Deux formats mis à mal par la crise du disque des années 2000, liée notamment à l'arrivée d'Internet : les DJs chineront désormais en ligne. Cet habitant de Fives dresse la tendance de ses vingt dernières années : "les ventes ont été en hausse jusqu'en 2008. Mais désormais je vends et reçois trois fois moins de disques que lors de l'ouverture", calcule-t-il.
J'allais aussi acheter des vinyls au magasin USA Import, que je revendais un peu plus cher à des connaissances.
Son salarié est parti, les inconditionnels du vinyl, eux, sont restés. A ceux-là s'ajoutent les touristes de passage et, depuis quelques années, une clientèle de jeunes qui ouvrent régulièrement la porte de sa grotte. En voilà un justement : "je cherche du Oxmo Puccino", demande-t-il. "Voilà l'exemple typique d'un jeune qui a commencé à acheter des vinyls il y a deux mois et qui souhaite immédiatement des choses rares", analyse rapidement Pascal après le départ, bredouille, du néophyte. Malgré tout, il s'en réjouit, pragmatique : "comme ils ont déjà beaucoup de disques à la maison, les anciens en achètent moins".
Il continue sur le mode c'était mieux avant : "quand j'étais jeune, le milieu de la musique underground n'était pas aussi accessible qu'aujourd'hui. Pour accéder à certaines soirées, c'était plus secret donc plus excitant". On embraye sur sa jeunesse : avant même d'ouvrir sa boutique, Pascal a eu sa petite réputation dans la scène musicale lilloise, dès la fin des années 1980 grâce à l'émission, Funk System, qu'il animait sur la radio RPL.
A l'époque, le passionné passe tout son argent pour voyager et chiner des disques à l'étranger. Le but ? Affiner son style et le rendre inimitable. "J'allais aussi acheter des vinyls au magasin USA Import, que je revendais un peu plus cher à des connaissances". Les boîtes de nuit, c'était en Belgique ou derrière les platines : il lui arrivait alors de mixer devant plusieurs milliers de personnes.
Une mémoire de la vie musicale lilloise
Ce dynamisme lui permet de quitter son métier dans le bâtiment pour travailler dans un premier temps à Groove Music, un ancien disquaire lillois. Il s'installe finalement en indépendant, rue Saint-Nicolas. Pudique, l'exercice de se raconter ne semble pas lui plaire, il préfère parler de son métier, qu'il exerce à l'ancienne. Coïncidence, dans son petit local, le réseau ne passe pas.
Il n'a pas de site en ligne et n'en veut pas : "je ne suis pas informaticien et je n'ai pas envie de passer mon temps sur l'ordinateur à devoir envoyer des commandes". Il continue : "mon métier est avant tout humain et je me dois d'être là avec les clients". Même le téléphone semble le déranger : "ah putain" comme gimmick avant tous les appels de ses amis, qui sont également ses clients, pressés d'acheter les quelques exemplaires de la dernière pépite qu'il vient de commander.
Le bonhomme au béret est également une mémoire de la vie culturelle dans la métropole lilloise. IAM au Zenith (dont il a fait la première partie en 2014), les Fugees, le Wu-Tang Clan, à l'Aéronef, il y était. Présent également lorsque Booba, en 1998, débarque dans un petit bar lillois, devant une petite centaine de personnes, avec son compère Ali de Lunatic pour la sortie de leur album "Mauvais Œil". C'est le même genre d'endroits qu'il fréquentait, avant le Covid, une à deux fois par semaine pour passer sa musique. Et il ne compte pas s'arrêter : l'épidémie n'a pas sifflée la fin de la carrière de DJ Pass.
Trois titres incontournables de sa collection