Le sort de l'avenue du Peuple Belge se décide en ce moment. Lancée depuis le 2 mai, la consultation citoyenne divise les habitants de Lille, Hellemmes et Lomme. Un projet fait particulièrement parler, c'est celui de la remise en eau totale de cet axe historique de la Capitale des Flandres.
Et vous ? Vous êtes plutôt 1, 2, 3 ou 4 ? Non, on ne vous propose pas une loterie. Ces numéros détermineront l'avenir d'une grande artère lilloise : l'avenue du Peuple Belge. Son sort est désormais entre les mains des citoyens de Lille, Hellemmes et Lomme.
Lancée le 2 mai dernier, la consultation est, de l'aveu même de la maire socialiste de Lille, "un mode expérimental et nouveau". Toutes les personnes inscrites sur les listes électorales ont reçu les documents et un code pour voter. A ce jour, plus de 6 000 personnes se sont exprimées sur 127 300 inscrits, soit à peine 5% des votants potentiels.
Quatre projets sont donc en lice et, vous l'aurez compris, à chacun son numéro : 1 pour le parc, 2 pour le parc et son miroir d'eau, 3 pour une remise en eau partielle, 4 pour une remise en eau totale. Le dernier projet agite le tout Lille. "Les plus jolies villes ont gardé leur eau", nous dit Catherine de Lille Centre. "L'eau, c'est tout ce qui nous manque", selon Soraya. "Il n'y a pas assez d'eau à Lille", poursuit Ahmed de la rue Nationale.
La remise en eau qui divise
Le scénario divise aussi. "Le 4, c'est trop !", s'exclame Loreleï, une sage-femme de 25 ans, riveraine de l'avenue du Peuple belge. Ce qui effraie la jeune femme : le coût et l'absence supposée d'arbres. Alors, elle se tourne vers les autres projets : "Je n'ai pas encore voté. Je pensais choisir le 2 avec son miroir d'eau, mais je ne sais pas si ça peut vraiment amener de la fraîcheur. Le 1 est cool aussi. Un grand parc, c'est bien parce que j'ai un chien. Le 3, ça me fait penser au quai du Wault… Enfin, je ne sais plus". Devant les grands panneaux d'information, Loreleï doute et elle n'est pas la seule.
En poursuivant notre route, nous rencontrons plusieurs assistantes maternelles en balade dans le parc.
La consultation n'est pas bien faite. Ça n'est pas clair. Il n'y a pas assez de détails. On ne sait pas comment faire pour prendre la bonne décision
Nadia, riveraine de l'avenue du Peuple Belge
L'enjeu est pourtant de taille car la consultation citoyenne ne sera pas simplement informative. L'avis des habitants "constituera le choix que nous allons réaliser", assure la maire. Il n'en fallait pas plus pour remotiver les farouches défenseurs du scénario 4.
En ce 10 mai, rendez-vous est donné au "quartier général" de la remise en eau totale… avenue du Peuple Belge évidemment. Sont présents des représentants du Club Gagnants, un club d'entrepreneurs dont l'acte fondateur fut la rénovation de la Vieille Bourse en 1985, et de l'association Renaissance du Lille ancien. "Est-ce une forme de lobbying ?", interrogeons-nous. Réponse de Didier Goddeis, le directeur général du Club Gagnants : "Il est important de s'informer avant de voter".
A leurs yeux, la présentation du projet 4 telle qu'elle est faite par la mairie, est parcellaire. Laisser entendre qu'il n'y aura pas d'espaces verts et d'arbres dans le scénario, "c'est un peu trompeur", souligne Cécile Fontaine, présidente de la commission "grands projets" du Club Gagnants.
"La manière dont le dossier est présenté est un peu scélérate", poursuit Etienne Poncelet de Renaissance du Lille ancien. L'architecte en chef et inspecteur général honoraire des monuments historiques regrette : "Quand on regarde les projets, on a l'impression que d'un côté, il y a un projet minéral et de l'autre un projet paysager. En fait, notre projet est extrêmement vert. Nous sommes pour une végétalisation et pour une remise en eau totale". Et de citer d'autres villes en pleine reconquête de l'eau comme Bruxelles et son plan canal. Rennes qui va détruire le parking du centre-ville pour se réapproprier sa rivière.
Il ne faut pas avoir peur de couper pour régénérer. Conserver des vieillards mal adaptés, ça n'est pas bien. Il faut recréer une osmose entre végétal et eau.
Etienne Poncelet - Renaissance du Lille ancien
Reste que pour le projet 4, le mal est peut-être déjà fait. Sylvie est propriétaire d'une maison dans le quartier : "Je suis pour défendre l'intérêt commun. Le fait qu'on enlève des arbres pour mettre de l'eau, c'est un non-sens. Il faut laisser les arbres anciens". Et d'ajouter : "Et puis, j'ai peur de l'insalubrité. Les gens vont jeter des choses dans l'eau, on aura des rats". Le traumatisme de l'histoire…
Lille, une ville d'eau
C'est sur une grande zone marécageuse qu'est née Lille. La Capitale des Flandres en a tiré son nom : insula, isla, L'isle, Lisle, Lille. "Il est grand temps qu'une des seules villes de France qui a un nom d'eau retrouve son eau !", s'exclame Etienne Poncelet. Pour Jean-Yves Méreau, le président de Renaissance du Lille ancien, "c'est fondamental dans l'histoire de Lille. Remettre en eau a un sens profond !"
Inondations, insalubrité, maladies… Lille a perdu son eau dans les années 1930. Roger Salengro décidait alors de combler la Basse-Deûle jusqu'à la Halle aux sucres. L'avenue sera remblayée jusqu'aux abattoirs après la Seconde Guerre mondiale. L'eau a été cachée. Elle n'a jamais disparu. Etienne Poncelet s'appuie sur son expérience d'architecte : "On ne peut pas bloquer les eaux, il faut les gérer".
Ce combat pour la remise en eau est un serpent de mer à Lille dont le dernier acte s'est joué en 2009. Le projet avançait à grands pas quand il s'est fracassé sur la crise économique. Empêtrée dans des emprunts toxiques, la métropole européenne de Lille n'avait pu financer. Les subventions européennes n'étaient pas venues. L'épisode est resté dans la mémoire collective. Treize ans plus tard, le projet est une nouvelle fois sur la table.
Il faut faire savoir que cette opportunité-là ne peut nous échapper.
Didier Goddeis - délégué général du Club Gagnants
"Ce projet est un arc économique et paysager essentiel à la survie de Lille", poursuit Didier Goddeis. "Si des maisons s'effondrent dans le Vieux Lille, c'est en partie à cause de la mauvaise gestion de l'eau".
Désormais, tous les arguments sont bons pour convaincre. A commencer par la source d'attractivité que représenterait une remise en eau. "Une nouvelle turbine touristique" pour le président de Renaissance du Lille ancien.
Il y a 800 mètres d'avenue, soit 1,6 km de vitrines potentielles. On doublerait la zone de chalandise !
Jean-Yves Méreau, président de Renaissance du Lille ancien
Pour Lille, il s'agit surtout d'être à égalité avec Gand et Courtrai, les voisines belges. "Et pourquoi pas un tourisme fluvial !", lance le jeune gérant d'un bar tout proche. Pour Didier Goddeis : "Aujourd'hui, la mutation des cadres se fait par rapport au cadre de vie. Même les étudiants placent le cadre de vie en priorité. L'eau, c'est un enjeu vital pour notre ville".
Il faut un tourisme qui a un sens et qui raconte une histoire. Ce serait un nouveau chapitre, ça n'a rien d'un caprice !
Bruno Goval - ancien directeur de l'Office de tourisme de Lille
Le coût est un frein pour de nombreux Lillois. Chiffré à 60 millions d'euros, le scénario 4 fait bondir certains citoyens que nous rencontrons : à Wazemmes, Valérie "trouve que c'est de l'argent gâché pour Lille. En pleine crise écologique, sociale, il faut mettre l'argent ailleurs. Il y a mieux à faire. Moi, je vais voter pour le projet 1, le moins cher".
Même choix pour Annie. Cette Lilloise de toujours a quitté le vieux Lille "parce que l'ambiance avait changé". Elle vit aujourd'hui à Wazemmes : "Un peu chérot le quatrième projet ! Encore une fois pour favoriser le Vieux Lille". Et d'ajouter : "On consulte, c'est bien, mais j'aurais préféré qu'on me demande mon avis sur la friche Saint-Sauveur".
L'argent sera le nerf de la guerre
Les défenseurs de la remise en eau totale entendent relativiser le coût des travaux : "On a mis 250 millions d'euros à Lille Sud sans demander l'avis à qui que ce soit. Pourquoi pas 60 millions au Peuple Belge ? Ce serait le plus gros investissement public dans le Vieux-Lille depuis des décennies".
Pour eux, il ne s'agit pas d'un projet de quartier, mais d'un projet structurant pour la ville. "A combien estimons-nous notre bien-être futur ?", interroge Bruno Goval. "Il faut le courage d'avoir des projets ambitieux".
Tous en ont conscience, face au budget des travaux, c'est la volonté politique qui fera pencher la balance. La précision est importante et apparaît en petits caractères dans les projets : "En plus du financement de la ville, des financements complémentaires seront recherchés auprès de nos partenaires : Métropole Européenne de Lille, Région, Etat, Europe". Lille ne paiera évidemment pas seule. Le président de la MEL, Damien Castelain, s'est d'ailleurs prononcé en faveur du projet 4.
Martine Aubry, elle, est moins tranchée. Alors qu'elle lançait officiellement la consultation citoyenne le 26 avril dernier, la maire de Lille reconnaissait n'être sûre de rien.
Très franchement, j'avais une préférence il y a 10 ans pour une remise en eau totale. Aujourd'hui, je me pose des questions. Ça ne veut pas dire que je l'exclus absolument.
Martine Aubry, maire PS de Lille
La consultation s'achèvera le 6 juin, elle a été repoussée. Riverain de l'avenue du Peuple Belge, José Maria Silva n'a pas encore voté, mais il a déjà fait son choix. Agé de 73 ans, il se souvient de l'échec du projet de 2009 : "C'était tombé à l'eau. Ça nous avait fait mal au cœur". Et de conclure : "La remise en eau, j'aimerais voir ça un jour !".