Deuxième cause de mortalité chez l’enfant en France, après la mort subite du nourrisson, le syndrome du bébé secoué, le SBS, touche chaque année 500 bébés, dont une vingtaine au CHU de Lille. Pour endiguer ce fléau, Adrien Taquet, secrétaire d'État en charge de l'Enfance et des Familles auprès du ministre des Solidarités et de la Santé, a lancé ce lundi 17 janvier, à Lille, une grande campagne nationale de prévention.
À la clé, un clip diffusé sur les réseaux sociaux et sur les plates-formes de replay TV, mais également des affiches et des kits de prévention adressés aux professionnels de santé. Ces derniers sont encore trop souvent insuffisamment alertés pour diagnostiquer, mais aussi informer les parents, tout comme les assistantes maternelles.
Un film choc
"Et voilà ! Tout ce que tu sais faire, c’est chialer ! J'en peux plus de toi !". La voix d’un père excédé, une secousse que l’on parvient à entendre par le babyphone, c’est avec cette vidéo glaçante de vingt-deux secondes publiée ce lundi 17 janvier, que le gouvernement a choisi de rappeler l’essentiel : secouer un bébé est une maltraitance qui peut être mortelle.
Qu’est-ce que le syndrome du bébé secoué (SBS) ?
Ce syndrome survient lorsqu’un nourrisson ou jeune enfant tenu par les épaules ou le tronc est secoué violemment. La personne responsable du geste est souvent l’un des parents, qui par colère ou épuisement face aux pleurs inexpliqués de son bébé, commet l’irréparable.
Le chef du service pédiatrie du CHU de Lille, le Professeur Rakza, en témoigne : "dans 70% des cas, le papa/conjoint est responsable, dans 20% des cas, la responsabilité revient à l’assistante maternelle".
Une nuit de mars 2018
"Ça n’arrive pas qu’aux autres". C’est ce que martèle aujourd’hui Pauline, qui a vu son fils Maël, décéder à l’âge de 2 mois, des suites du syndrome du bébé secoué. "On était un couple sans histoire, aucune violence, pas de problème d’argent, on travaillait tous les deux", et pourtant cette nuit du 16 mars 2018, à Lens, l’irréparable arrive.
Alors qu’inquiétée par les pleurs de son bébé, elle s’isole pour appeler les urgences, son compagnon, resté seul dans la chambre, va par deux fois secouer le bébé, la 2ème secousse lui étant fatale et provoquant un arrêt cardio-respiratoire. Maël décédera 5 jours plus tard, le 22 mars 2018.
Séquelles permanentes pour deux tiers des enfants
Le syndrome du bébé secoué, beaucoup reconnaissent en avoir entendu parler, mais beaucoup ignorent les conséquences dramatiques de cette maltraitance.
"Ce traumatisme du cerveau, rappelle le Professeur Rakza, impacte la vie entière de l’enfant. Le cerveau est un organe essentiel, responsable non seulement de la motricité mais aussi du comportement et du fonctionnement intellectuel. Pour les deux tiers des enfants qui survivent au SBS, les séquelles seront permanentes, comme la paralysie, la cécité, l’épilepsie, des retards de développement et des déficits cognitifs, des troubles de l’alimentation ou encore du sommeil".
Une campagne plébiscitée par les associations
Danielle Gobert, fondatrice de l’association lilloise, "Les maux, les mots pour le dire", spécialisée dans la prévention des maltraitances auprès des professionnels de santé, le reconnait : "c’est une journée historique, le fait que le gouvernement s’empare de cette cause est important et salutaire".
Car, comme le rappelle Marie Lemeille, vice- présidente de l’association "Stop bébé secoué", "chacun a son rôle à jouer dans cette politique de prévention. Il faut rappeler qu’un bébé secoué, c’est un adulte exaspéré, qui ne demande pas, qui n’ose pas demander ou qui n’a pas d’aide".
Et Caroline Rey-Salmon, pédiatre légiste à l’hôpital Hôtel-Dieu à Paris, de rappeler "qu’en secouant l’enfant pour le faire taire, en fait, l’enfant n’est pas "calmé", il est assommé, il arrête de pleurer, tout simplement parce qu’il est KO, comme un boxeur qui s’est pris un coup de poing. Ça peut expliquer l’entrée dans un cercle vicieux. Quelques secondes suffisent à provoquer des lésions irréversibles. Dans les procès-verbaux d’audition, je vois encore beaucoup de gens qui affirment qu’ils ne savaient pas, et je les crois volontiers".
Une meilleure prévention pour éviter des drames
Au CHU de Lille, la prévention passe par une formation de tous les professionnels de santé, pour la mise en place d’un programme de sensibilisation systématique des parents, dès la naissance de leur enfant et qui s’inscrit dans le cadre du projet FHU "1000 jours pour la santé".
Une première en France, pour laquelle les équipes de l’Hôpital Jeanne de Flandre se sont appuyées sur les outils développés par le CHU de Sainte-Justine à Montréal, partenaire historique du CHU de Lille et à l’initiative du programme au Canada.
"Prévenir pour rappeler aux parents, explique le Professeur Rakza, que les pleurs sont l’unique moyen de communication dont dispose l’enfant, qu’il n’est pas toujours facile de garder un bébé, qu’il est tout à fait normal de se sentir fatigué, exaspéré, mais que lorsque l’on se sent en difficulté, il faut surtout s’éloigner de l’enfant, le coucher sur le dos dans son lit et quitter la pièce, le temps de reprendre ses esprits ou mieux de demander de l’aide. Un enfant ne risque rien à pleurer dans son lit, il peut risquer beaucoup à être dans les bras d’un adulte exaspéré".
Mise en place d’une permanence téléphonique
Au CHU de Lille, différents outils sont donc mis à disposition, comme ces fiches explicatives distribuées aux jeunes parents pour apprendre à canaliser leur colère en cas de pleurs répétitifs du bébé, mais également savoir appréhender leur réaction, en prenant soin par exemple de noter le numéro de téléphone d’une personne ressource, en cas de débordements.
La mise en place d’une permanence téléphonique pour accompagner les parents en difficulté aux heures les plus sensibles de la journée (par exemple les pleurs de fin de journée), c’est aussi ce que prévoit le programme de prévention du CHU de Lille, qui depuis septembre 2021, a ainsi sensibilisé près de 4000 parents, au pôle "Femme, mère, nouveau-né" de l’Hôpital Jeanne de Flandre.
Un programme prêt à être étendu à l’ensemble des services de maternité et de néonatologie du Groupement Hospitalier de Territoire Lille Métropole Flandre Intérieure, avec notamment la formation des professionnels concernés. Il pourrait ensuite être proposé à l’ensemble des établissements de santé de la région Hauts-de-France, avant d’être élargi aux services d’urgences générales et pédiatriques, ainsi qu’aux services de Protection Maternelle et Infantile et aux médecins de ville.
Selon une étude canadienne, si les parents recevaient une intervention éducative à la naissance de leur enfant, le nombre de cas de syndrome de bébé secoué pourrait en effet être réduit de 50%.
NB : Le 18 mars 2022 se tiendra à Lille le colloque "Syndrome du Bébé secoué".