Théâtre du Nord : une nouvelle programmation qui explore toutes les facettes du féminisme

Un début de saison haut en couleurs et en énergie s'annonce pour le Théâtre du Nord. L'institution culturelle régionale a dévoilé sa nouvelle programmation, et notamment un temps fort consacré aux féminismes.

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"Le féminisme ce n'est pas qu'un temps fort au Théâtre du Nord, c'est présent toute la saison et dans le projet artistique. Déjà parce que la saison est paritaire entre les porteurs et porteuses de projet et parce que nos moyens de production sont répartis de façon paritaire aussi. Le féminisme, c'est aussi à cet endroit-là que ça se joue, à l'endroit de l'argent" défend Ronan Ynard, secrétaire général du Théâtre du Nord. C'est grâce à cet engagement que cette institution régionale a pu transformer un hasard de programmation en véritable temps fort culturelle.

Pour son ouverture de saison, le Théâtre a fait la part belle a des spectacles écrits, montés, interprétés par des femmes et qui parlent des femmes. "Ce sont des spectacles qui donnent un panorama un peu complet des différentes formes de féminisme" estime le secrétaire général.

Théâtre et cinéma face à face

Le 29 septembre, pour l'ouverture de saison, le Théâtre a confié sa scène à la Marlène Saldana, notamment élue Meilleure comédienne par le Syndicat de la Critique de Théâtre en 2019. L'artiste met en scène sa version du film Showgirl de Paul Verhoeven, vilipendé à sa sortie comme une "apogée de vulgarité" et réhabilité sur le tard. 

"Elle n'en dit pas "c'est un film misogyne", elle dit "c'est une époque". Et moi c'est un film que j'ai aimé, parce qu'avec mon logiciel de l'époque, je ne me suis pas rendu compte que c'était complètement misogyne, et j'ai pu l'apprécier, illustre Ronan Ynard. Qu'est-ce qu'on en garde aujourd'hui ? Quel regard critique on porte dessus ? La question est intéressante et c'est pour ça que la veille de ce spectacle, on projette ce film au cinéma l'Univers pour que le public ait un double aperçu de cette programmation" 

A l'heure du Me Too du cinéma, la comédienne livre surtout une réflexion sur l'histoire du cinéma. "Comment on en est arrivés là ? Quelle est la place des actrices aujourd'hui ? Elle se pose plus que questions qu'elle ne donne de réponses. On est face à un spectacle très haut en couleurs : elle danse, elle chante, c'est extrêmement drôle... Et au milieu de tout ça, on se dit : "mais elle n'a pas tort, on devrait se poser ces questions un peu plus souvent". 

Après le spectacle, place à la fête : le collectif de DJ féminin Choupichatte sera aux platines pour un after-show dans le hall même du Théâtre du Nord. L'institution est d'ailleurs en partenariat avec le Name festival, et héberge des masterclass données par des professionnelles de la musique électronique. 

"J'espère qu'il n'y aura pas de fin alternative"

Autre temps fort qui adresse lui aussi des questions encore brûlantes y compris dans les cercles féministes, le spectacle Manifesto Transpofágico joué à partir du 5 octobre par une artiste transgenre brésilienne, Renata Carvalho. "Ça a été un spectacle coup de poing et coup de coeur à la fois quand je l'ai découvert à l'époque. Aujourd'hui, c'est une tournée européenne dont les seules dates françaises sont à Lille, on est assez fiers de ça. Renata provoque le public, la question qu'elle nous pose de but en blanc, c'est : "est-ce que vous pensez que je suis une femme ?" Pendant tout le spectacle, elle nous interroge là-dessus tout en nous racontant son histoire, par quoi elle est passée pour devenir la femme qu'elle est aujourd'hui."

Le spectacle va chercher et impliquer le spectateur jusqu'à la dernière minute. "A la fin, il y a un vote, le public va décider si elle est bien une femme ou pas. C'est un peu violent, très provocateur, moi je l'ai vu dans une version où le public avait "décidé" qu'elle était bien une femme, je ne sais pas ce qu'il se passera si jamais, un soir, le public vote le contraire. Vu la façon dont on nous en parle, je n'ai pas trop de doute, mais j'espère qu'il n'y aura pas de fin alternative au Théâtre du Nord !"

En infiltration chez les Miss

Le 19 octobre, c'est Suzanne De Baecque, metteuse en scène et comédienne, qui prend les commandes avec son spectacle "Tenir debout". Aux origines de son écriture, une infiltration dans les coulisses d'un concours de miss régionale. "Dans le Nord, on a une grande tradition des concours de Miss et on y a été très visibles ces derniers temps, note le secrétaire général du Théâtre, mais ce n'est pas ça qui l'a inspirée. Elle se posait la question : pourquoi, en 2021, il y a des filles qui ont encore envie d'être Miss France ? Pour elle, c'était complètement désuet et misogyne."

En interrogeant ses propres préjugés, en cherchant à s'éloigner de ses propres réflexes de condescendance, l'artiste a découvert toute une arborescence de parcours de vie et d'histoires. "L'une de ces filles, par exemple, a eu une leucémie, et quand elle a eu à nouveau des cheveux, elle a participé à un concours de Miss régionale. Pour elle c'était une revanche sur la vie. On se dit que tout le monde a ses propres motivations et qu'on ne peut pas être condescendant." Preuve que le sujet interpelle et intéresse : le spectacle de Suzanne De Baecque est déjà complet pour ses quatre dates.

Dom Juan, ennemi public n°1 ?

Mais l'exploration des enjeux féministes ne se limitera pas au début de saison, ni aux seules artistes féminines. En janvier, le directeur du Théâtre du Nord, David Bobée, présentera sa version du Dom Juan de Molière.

"David n'avait jamais monté Molière, parce qu'il s'était toujours dit que ce n'était pas pour lui. Soudain il se retrouve face à Dom Juan et il se dit : en fait, ce personnage incarne tout ce contre quoi je me bats. Il est misogyne, il se moque des accents, il est classiste... Il pourrait être l'ennemi public numéro 1 dans notre société d'aujourd'hui !" Pour dépoussiérer l'oeuvre, et rendre son message plus actuel, le metteur en scène a choisi de ne pas toucher au texte, mais de travailler la mise en scène.

"On a déjà des rôles masculins qui ont été donnés à des femmes : son frère et son père vont devenir sa soeur et sa mère. Etre encadré par ces deux figures féminines fortes change déjà son rapport à la société. Ça passe par des détails mais par exemple, dans l'oeuvre originale, un personnage féminin va avoir tendance à se mettre à genoux pour parler à un personnage masculin. Avec David, ça ne se passe jamais, les personnages féminins sont debout et s'adressent aux personnages masculins droit dans les yeux, elles ne sont pas par terre à supplier. C'est avec ces petites choses qu'on arrive à donner à Molière un souffle un peu plus contemporain."

Mais était-il vraiment besoin de retravailler ce personnage déjà anti-héros, et qui essuie à la fin de la pièce une punition divine pour ses offenses ? "Chez Molière, il est surtout puni parce qu'il défie l'autorité. Là, l'idée c'est de le punir aussi pour toutes ces micro-actions de domination qu'il a exercées au cours de sa vie, nuance Ronan Ynard. Parce que ce spectacle ne raconte que ça : c'est une histoire de domination. C'est d'ailleurs aussi pour ça que David n'a pas voulu prendre un homme blanc de plus de 40 ans pour interpréter Dom Juan. C'est Radouan Leflahi qui incarnera le personnage pour apporter un peu de nuance à tout ça, ne pas toujours réserver les mêmes rôles aux personnes blanches et puis surtout parce que la couleur de peau n'a pas de sens dramaturgique. N'importe qui peut jouer n'importe quel personnage et on s'en fout !"

"Faire culture commune", le but du Théâtre

Avec cette programmation, le Théâtre du Nord s'engage dans des combats très actuels, qui ne sont pas sans susciter des frustrations. Pourtant, le but n'est pas de prendre à rebrousse-poil le public habituel.

"L'idée, c'est de pouvoir faire culture commune, défend le secrétaire général du Théâtre du Nord. Avec Dom Juan, justement, on a un public de fidèles qui ne s'attend peut-être pas à aborder de grands enjeux de société à travers ce texte. Ils viennent pour Dom Juan, pour Molière, pour voir un grand classique de théâtre et c'est très bien ! A côté de ça, dans la même salle on aura des jeunes peut-être traînés au théâtre par leur prof de français mais qui ce soir-là vont se retrouver face à des gens qui ont leur énergie, leur âge, leur façon d'être, leur couleur de peau pour certains... Ça va sûrement leur donner une réception différente de l'oeuvre."

Un pari gagnant-gagnant, pour l'institution culturelle. "On va se retrouver dans cette salle avec des gens très différents qui ne se seraient pas forcément croisés dans la vie et qui vont partager une oeuvre commune, applaudir le même spectacle. Pour certains, ça les fera évoluer sur certaines questions, pour d'autres, ça va les rapprocher de la culture."

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