Théâtre : à Lille, "La réponse des hommes" sonde la miséricorde et... prend patience face au Covid

Monde de la santé, choix des malades... La pièce de Tiphaine Raffier traite de sujets que la pandémie a mis sur le devant de la scène.

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Elle a tenté de naître en Avignon et à Marseille, avant de se replier à Lille, mais une heure avant sa "générale", Jean Castex a douché ses espoirs: l'ambitieuse pièce "La réponse des hommes" de Tiphaine Raffier cherche à exister malgré les déconvenues du covid.

"Il faut que ça sorte, même si ce n'est pas la 'première' dont on rêve". Lors de la répétition générale au Théâtre du Nord de la pièce qu'elle a écrite et mise en scène, Tiphaine Raffier assure "serrer les dents" et garder intacte l'envie de faire exister son spectacle, variation contemporaine autour des "Œuvres de miséricorde" de l'Église catholique. 

"Heureux de vous retrouver"

À peine une heure plus tôt, le Premier ministre a repoussé de trois semaines la réouverture des théâtres, réduisant à néant l'espoir de montrer la pièce du 16 au 18 décembre au public lillois, qui avait répondu présent pour ces représentations à 17H00. La banderole qui clame "Heureux de vous retrouver" au fronton du théâtre sonne tristement décalée. 

"On y croyait encore", reconnaît Anne-Marie Peigné, directrice des publics du Théâtre du Nord. "Faire et défaire, c'est toujours travailler", tente-t-elle, tout en reconnaissant l'émotion de toute l'équipe face à ces déceptions à répétition. 

"Que le spectacle existe"

Les représentations prévues la semaine prochaine sont maintenues, mais pour un public de professionnels uniquement. "On va faire en sorte que le spectacle soit présenté aux programmateurs, qu'il existe au-delà de cette saison dont on a été amputés", explique Tiphaine Raffier, comédienne, dramaturge et metteuse en scène qui a fait ses classes à l'école du Théâtre du Nord.

Après Lille, la pièce, qui devait initialement être créée pour le festival d'Avignon puis au théâtre de la Criée de Marseille, devait être jouée dès début janvier à Villeurbanne, avant une tournée à Brest, Toulon ou encore à l'Odéon à Paris. 

Étrange contexte pour la créatrice de 35 ans, qui souhaite avec cette pièce de 3h20 explorer les thèmes du don, du sacrifice, du vertige moral, et entend faire des spectacles aussi bien "pour (sa) mère que pour les profs de philo".

Qui soigner ou sauver en priorité quand on dispose de moyens limités ? De nombreuses questions éthiques soulevées par sa pièce font écho à la pandémie, mais Tiphaine Raffier assure que ces questionnements étaient présents dès les premières répétitions à l'automne 2019. 

"Renoncer à soigner"

"On parlait beaucoup de l'utilitarisme, du choix des malades, du monde de la santé qui ne va pas bien", explique-t-elle. Ensuite, quand la maladie s'est mise à faire la "une", "j'avais l'impression que tous les journaux ne parlaient que de mon spectacle".  

Dans une des scénettes qui composent la pièce, une médecin exaspérée par la décrépitude de l'hôpital lance à un groupe de psychiatres : "soigner une personne, c'est parfois renoncer à en soigner d'autres et vous, vous soignez des pédophiles ?". Dans une autre, c'est un algorithme qui détermine si un jeune homme sous dialyse pourra bénéficier d'une greffe de rein. 

Donner à manger aux affamés, visiter les prisonniers, accueillir les étrangers, prier pour les vivants et les morts... Chaque séquence est adossée à une des "Œuvres de miséricorde" – ces 15 missions que l'Église catholique propose à chacun – 14 issues de la Bible et de la tradition des pères de l'Église, et une dernière, "sauvegarder la Création", ajoutée par le pape François. 

La pièce varie les points de vue pour réfléchir aux dilemmes que chacun peut affronter au moment d'agir, malgré la simplicité au premier abord de ces injonctions à faire le bien. 

Une profondeur du propos, parfois un peu démonstratif, qui n'empêche pas une certaine légèreté, grâce à l'omniprésence de la musique et de la danse, et à un humour grinçant qui culmine dans la scène finale, évocation de la sauvegarde de la Création dans un univers ravagé.

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