Dans une tribune publiée dans le Monde, 3 000 magistrats alertent sur la dégradation de leurs conditions de travail. Très discrets dans leurs prises de parole publique, ils ont voulu réagir après le suicide de Charlotte, juge dans le Nord et le Pas-de-Calais. Un cas qui n'est pas isolé, assurent-ils.
"Notre rentrée a commencé devant l’église Saint-Michel de Lille, lundi 30 août". C’est par ces mots que débute la tribune signée par 3 000 magistrats (soit plus du tiers des magistrats en France) publiée dans le Monde, mardi 23 novembre 2021.
Ce jour-là, ils assistent à l’enterrement de Charlotte, une collègue de 29 ans qui était "envoyée de tribunaux en tribunaux pour compléter les effectifs des juridictions en souffrance du Nord et du Pas-de-Calais" depuis sa prise de fonctions, deux ans auparavant. Charlotte s’est suicidée le 23 août dernier.
À plusieurs reprises, au cours de l’année qui a précédé son décès, Charlotte a alerté ses collègues sur la souffrance que lui causait son travail. Comme beaucoup, elle a travaillé durant presque tous ses week-ends et ses vacances, mais cela n’a pas suffi. Se sont ensuivis un arrêt de travail, une première tentative de suicide.
Extrait de la tribune publiée dans le Monde, signée par 3 000 magistrats
Conditions de travail éprouvantes et "injonctions d’aller toujours plus vite et de faire du chiffre" l’ont poussé, selon ses collègues, jusqu'au suicide. Et selon les magistrats signataires, d’ordinaire très discrets dans le débat public, "Charlotte n’est pas un cas isolé".
Audiences surchargées, justice maltraitante
En s’appuyant sur ce tragique événement, les signataires veulent alerter sur la dégradation de leurs conditions de travail et le manque de temps pour traiter les dossiers. "Nous ne voulons plus d'une justice qui n'écoute pas, qui raisonne uniquement en chiffres, qui chronomètre et comptabilise tout", écrivent-ils, dénonçant une "justice qui maltraite les justiciables, mais également ceux qui œuvrent à son fonctionnement".
Nous sommes confrontés à un dilemme intenable : juger vite mais mal, ou juger bien mais dans des délais inacceptables.
Extrait de la tribune publiée dans le Monde, signée par 3 000 magistrats
Parmi les exemples cités, des audiences surchargées, des arrêts maladie à répétition, des procédures classées sans suite. "Les magistrats n'en peuvent plus. La justice est à bout de souffle et ne peut plus remplir ses missions", écrit l’Union Syndicale des Magistrats dans un communiqué suite à la parution de cette tribune.
Eric Dupont-Moretti, garde des Sceaux et ministre de la Justice, a indiqué souhaiter échanger dans les prochains jours avec une délégation de signataires. Le directeur des services judiciaires en charge des ressources humaines de la magistrature s’est dit "particulièrement conscient" des difficultés rencontrées par les magistrats ces deux dernières années et confirme qu’il faut "augmenter les effectifs actuels".