Depuis un an, les bénévoles de l'association Osmose 62 sont sur le terrain pour venir en aide aux migrants, naufragés après une tentative de passage vers le Royaume-Uni. Rencontre avec le co-président de l'association, le temps d'une maraude.
Le rendez-vous est pris à 5 heures du matin, à la gare de Boulogne-Ville. Au milieu de la nuit, Olivier Ternisien, professeur de théâtre, ouvre son coffre. “On a de l’eau, des biscuits, des produits secs… de quoi distribuer rapidement.” Depuis un an, c’est sa deuxième vie, celle de la nuit, où il sillonne la côte, de maraudes en maraudes. “La situation ici est devenue tellement dramatique, il y a une telle tension migratoire, qu’on ne peut pas rester sans rien faire” raconte Olivier, d’une voix calme, au volant de sa voiture.
Dans la nuit, ses phares percent l’obscurité des routes de la côte, isolées. C’est là, du côté des dunes, que les migrants en quête de départ vers l’Angleterre se cachent régulièrement. “Là on arrive à la pointe de la crèche. À partir d’ici et en remontant vers le nord, tout le long des dunes, on a vu des centaines de personnes partir, tout l’été. C’était vraiment incroyable.” Dans ce cas, l’association distribue de petites cartes aux exilés avec les numéros d’urgence français et britanniques. “On leur dit aussi que la traversée est hyper dangereuse. Mais ça ne sert à rien. Ils voient les côtes en face, après tout ce qu’ils ont enduré… On n’est pas dupe. Ils ne s’arrêteront pas ici” déplore Olivier.
Répondre à une première urgence : le naufrage d'embarcations
Le long de la côte, il repère plusieurs points qui lui servent à connaître la situation de terrain. Un premier arrêt à la gare de Wimereux. C'est de là que beaucoup de migrants arrivent et repartent. Puis d’autres arrêts, plus loin, le long de la mer. “Là on est à Ambleteuse. Je m’arrête souvent ici, j’écoute. Un groupe de 80 personnes cachées dans les dunes, à un moment ou à un autre, ça fait forcément du bruit.” Lorsqu’Olivier repère des migrants, il observe leur tentative, de loin. “Nous, on n’est là qu’en cas d’urgence. Si c’est un échec et qu’ils sont rapatriés au port ou sur la plage, c’est là qu’on intervient. Ils sont trempés alors on leur fournit des habits chauds, des nouvelles chaussures et puis un bon thé et des biscuits.” Ce jour-là, Olivier ne repère personne. La mer est agitée, le vent souffle fort et une fine bruine vient doucher les derniers espoirs de tenter une traversée pour les migrants. “Ce serait inconscient, dramatique d’envoyer des gens sur la mer avec ce temps. Si un groupe voulait tenter aujourd’hui, il partirait au désastre” analyse Olivier, inquiet, malgré tout.
Le bénévole le confie : pour une fois, la matinée est tranquille, et lui est soulagé. “D’habitude on ne part jamais seul en maraude, mais aujourd’hui c’est exceptionnel. C’est plus un travail de veille et une façon d’être vu des forces de l’ordre, d’assurer une présence de terrain. Mais je ne pense vraiment pas qu’on assistera à un départ ce matin, à cause… ou grâce à la météo.” Justement, le Scénic familial d’Olivier est repéré par une voiture de gendarmerie.
“Bonjour, qu’est-ce que vous faites ici?” questionne le gendarme. “C’est l’association Osmose, on fait un tour de veille” “C’est calme ce matin” “Oui, on voit ça, bonne journée”.
L’échange est bref, courtois. “Il faut être vu et connu d’un peu tous les acteurs du terrain : associatifs, migrants et forces de l’ordre. Nous, on n’est pas là pour déranger qui que ce soit, juste pour secourir les gens qui en ont besoin. C’est une question d’humanité, je ferai ça pour quelqu’un qui vient du bout du monde, comme je ferais ça pour quelqu’un du bout de ma rue” assure Olivier.
Des Boulonnais, mobilisés pour aider les migrants
C’est là toute l’originalité de l’association. Parmi la vingtaine de bénévoles qui tourne sur le terrain, tous sont issus de la société civile, aucun n'a un profil militant. “Dans la forêt près de chez moi, je voyais chaque soir des gens venir se cacher. Je croisais les mêmes personnes le lendemain, souvent fatiguées par l’échec d’une tentative de traversée. Alors je me suis mis à leur donner à boire, un peu à manger. Je faisais sûrement mal les choses mais c’était un sentiment humain à ce moment-là.” Plus tard, Olivier s’aperçoit que, comme lui, d’autres habitants de la région offrent spontanément de quoi tenir aux exilés. De contacts en contacts, au fil des mois, l’association se crée. “On s’est rendu compte qu’on faisait tous la même chose alors on s’est dit pourquoi ne pas mettre nos forces en commun ? Chez nous, il n’y a pas de politique, ni de politicien. Tout est fait à l’instinct, un peu à l'arrache même” avoue Olivier, souriant.
Cette idée d’association, Olivier l’a eu avec Dany. Souvent, ils se retrouvent au milieu de la matinée, au Châtillon, un café bien connu sur le port de Boulogne. C’est l’heure de la pause. Les deux partagent un petit-déjeuner, du café pour tenir, un croissant pour la faim. C’est surtout l’occasion de prendre des nouvelles des exilés rencontrés. Et puis, au fil de la discussion, de se confier l’un à l’autre sur un quotidien bouleversé par la crise migratoire.
“Il y a trois jours, à Equihen, on était en maraude avec d’autres bénévoles et on a vu un passeur jeter deux personnes par-dessus bord. L’un d’eux ne savait pas nager. On l’a vu se noyer, sous nos yeux. Il a commencé à couler. Des gens l’ont sauvé in extremis” témoigne Dany, encore choquée. “Certains bénévoles qui ont assisté à la scène sont encore sous le choc, c’est difficile, une personne a failli mourir sous nos yeux”.
Olivier rebondit : “On savait que ça allait être dur de s’engager ainsi. Mais à ce point, ça nous dépasse. Pour nous, il faudrait même peut-être rencontrer un professionnel, pouvoir parler de tout ce qu’on voit ces derniers temps.” Les dernières semaines ont été particulièrement intenses pour les bénévoles. Phénomène plutôt rare, la Côte d’Opale a connu quinze jours de beau temps en continu, sans un nuage et avec une mer calme. En cette fin d’été, les dépars sont alors massifs. “On en sort épuisé, physiquement et moralement” décrit Olivier “il y a des fois où je suis ailleurs, même à la maison. Je pense à ces scènes… J’ai du mal à en parler à ma femme et ma fille par exemple.”
Des dons privés comme seules subventions
Parfois, il y a aussi les bonnes nouvelles. Dans la matinée, les bénévoles apprennent la naissance d’un petit garçon à l’hôpital de Boulogne. Il y a quelques jours, la maman, alors enceinte de huit mois et demi, le papa et l’oncle étaient à Boulogne pour tenter une traversée. Les bénévoles d’Osmose ont aidé la famille, jusqu’à cette hospitalisation et cette bonne nouvelle. “Voilà, on est heureux pour elle et son bébé. On échange des messages avec la maman” indique Dany. La maman sort de l’hôpital dans trois jours, alors l’association publie alors un message sur les réseaux sociaux pour trouver des vêtements pour nourrisson. Dès lors, une chaîne de solidarité se met en place. Olivier reçoit un appel : rendez-vous pris dans le centre-ville.
La porte s’ouvre et laisse découvrir une dame souriante, la soixantaine. Immédiatement elle demande des nouvelles du nourrisson. “Vous savez, je suis grand-mère moi aussi, alors bon, je sais ce que c’est” C’est grâce au partage d’information d’une amie sur les réseaux sociaux que Christine a contacté Olivier. Elle n’est pas membre de l’association, ne connaît personne dans la structure. Mais elle a spontanément contacté Olivier. Elle tend plusieurs sacs : “voilà une gigoteuse, un bavoir…” Ce don l’émeut, un peu. “Evidemment que ça nous touche, évidemment” répète-t’elle alors que sa voix se trouble. "C’est dramatique de laisser ces gens dans la rue, de voir cette détresse. Alors on aide un peu.” décrit-elle. Une aide d’autant plus nécessaire que dès la sortie de l’hôpital, personne ne sait ce qu’il adviendra de la famille, et donc du nourrisson. “On va essayer de leur trouver une structure d’accueil” tempère Olivier et d’ajouter : “vous voyez, cette dame, c’est vraiment ça les gens de la côte, il y a de la solidarité ici.”
Les sacs récupérés sont ensuite amenés vers le local de l’association. Plusieurs pièces, remplies de vêtements et chaussures. “On manque de 42 et de 43, ce sont les pointures qui partent le plus vite” remarque Olivier. L’association fonctionne exclusivement sur des dons de particuliers. “On ne vit que de ça, on ne reçoit rien ni de l’Etat, ni des collectivités. Je trouve ça bien, ça veut dire qu’on n’a de compte à rendre à personne… on est indépendants” sourit le bénévole.
Enfin, vers 10 heures trente ce matin-là, Olivier finit sa maraude. Une autre journée commence, une autre vie presque, professionnelle cette fois. “Et encore, c’était calme aujourd’hui, nous n’avons croisé personne” plaisante le bénévole. Il le sait, bientôt, le beau temps va revenir sur la côte, et avec lui des centaines de tentatives de passage vers l’Angleterre.