À Tourcoing dans le Nord, un passionné de bande dessinée ressuscite Artima, artisan oublié de l'âge d'or des illustrés

Frédéric Douin, un éditeur des Yvelines, a entrepris la colossale tâche de réunir les illustrés publiés par Artima, à Tourcoing, et de leur offrir la postérité. Un monument de culture et un vrai moment de nostalgie, pour ceux qui y retrouvent les BD de leur jeunesse.

Il y a eu une époque où Tourcoing régnait sur la bande dessinée. En 1943, le Belge Émile Keirsbilk, dont on raconte qu'il est alors vendeur de petits pois, y installe une maison d'éditions. Il va y publier ce qu'on appelle des illustrés, puisque le terme bande dessinée n'est pas encore popularisé, à destination des enfants, sous forme d'épisodes.

A l'âge d'or de la BD, le triomphe tourquennois

Pour choisir le nom de sa société, Émile Keirsbilk doit être plus malin que les Allemands, qui occupent alors le pays. Artima est l'abbréviation d'artisans en imagerie, ce qui lui permet d'ouvrir sous les lois de l'Occupation, où seule la création d'entreprises dites artisanales est autorisée. 

S'ouvre alors une véritable machine à publier : 2 millions d'exemplaires sont vendus par mois, et Artima publie souvent jusqu'à 24 titres en même temps. Sidéral, Atome Kid, Tempest, Dynamic, ou encore Vengeur sont les séries de l'époque. En 1958, Artima a même été la première maison à adapter en France des bandes dessinées américaines. Avec des volumes de 50 pages, 5 ou 6 dessinateurs travaillent parfois sur un seul titre, sans compter les scénaristes. Des talents qu'Émile Keirsbilk recrute à travers toute la France, comme les frères Robert et Raoul Giordan, qu'il va chercher à Lyon. Tourcoing est à la pointe de l'âge d'or de la BD, qui s'étendra de 1955 à 1965.

"Vous vous rendez compte de l'organisation, à une époque où tout se faisait par courrier ? Rien que pour la couverture, il fallait que le dessinateur l'envoie à Artima, qui devait l'envoyer à l'imprimeur. L'imprimeur faisait un "bleu", il photographiait et réimprimait le dessin dans un bleu pâle, et renvoyait ce bleu au dessinateur, pour que celui-ci fasse des calques couleurs au-dessus, avant de le renvoyer à l'imprimeur. Et ça tous les mois ! Ça devait être une logistique et un personnel inimaginable... J'aurais voulu être petite souris pour voir comment ça se passait là-bas !" dépeint Frédéric Douin.

La chasse au trésor d'un passionné

Ce libraire de livres anciens de 57 ans a ouvert sa maison d'édition à son nom, dans les Yvelines, s'est donné la mission pharaonique de réunir les oeuvres éparpillées des collections Artima, de les numériser et de les rééditer sur papier. Son but : offrir aux anciens de cette génération le plaisir de redécouvrir leurs livres d'enfance, et offrir la postérité qu'elle mérite à l'oeuvre culturelle colossale laissée par Émile Keirsbilk et tous ses collaborateurs.

Cette improbable quête commence en 2002, quand Frédéric Douin se met, pour sa petite entreprise, à numériser certains des volumes de sa librairie et à les rééditer. "Il y a des choses fabuleuses qu'on a complètement oubliées, qui méritent vraiment d'être connues" milite-t-il. Mais, alors que ses activités se développe, Frédéric Douin doit les mettre entre parenthèses, "la mort dans l'âme", à cause d'importants problèmes de santé. La première activité qu'il reprend après sa convalescence, c'est sa maison d'édition. C'est là qu'une rencontre décisive va faire le lien entre lui et les oeuvres d'Artima. 

Dans sa recherche d'oeuvres à imprimer, et de clients à séduire, Frédéric Doui, prépare une maquette test d'un ancien illustré. C'est là qu'il remarque qu'il a omis de demander l'autorisation d'un auteur qui a contribué au numéro. Il s'appelle Fabien Sabatès. Fabien Sabatès, c'est un auteur et un éditeur à l'obsession tout aussi inattendue : il est fou de Citroën, particulièrement des 2CV. Il est même rédacteur en chef de deux magazines consacrés aux anciennes automobiles Citroën. "J'ai galéré pendant un an et demi à le retrouver. En fait, il est parti à la retraite. En Thaïlande." Mais une fois en contact avec Sabatès, celui-ci renvoie gentiment Frédéric Douin dans les roses. Il trouve son ancien projet mauvais, et ne voit pas l'intérêt de le rééditer. En revanche, à 70 ans, Sabatès a une autre passion, et ce sont les BD Artima, qu'il collectionnait dès l'âge de 10 ans et qu'il a emmenées en Thaïlande.

Les nostalgiques lui disent merci

C'est lui qui lui recommandera fortement de s'attaquer à la montagne Artima. Le contenu est désuet, très passé de mode, mais pour la génération de Sabatès, ces illustrés représentent une jeunesse entière. Frédéric Douin se lance alors dans la recherche d'autres collectionneurs et surtout, des ayants-droits.

"Un enfer," plaisante-t-il, entre les contenus venus des Etats-Unis et les dessins non-signés. Pourtant, brique à brique, la renaissance d'Artima se construit. Ses acheteurs, ce sont des jeunes qui s'intéressent à l'histoire de la bande dessinée, mais surtout et avant tout, des nostalgiques. "Quand quelqu'un vous envoie un courrier écrit à la main, un monsieur de 85 ans, qui vous dit merci, qu'il passe des journées fabuleuses à retrouver les BD de sa jeunesse, qu'il les montre à ses petits-enfants... Ces courriers-là, ces appels, ça fait vraiment plaisir" savoure Frédéric Douin, qui apprécie sa clientèle de niche.

"Honnêtement, je n'en vends pas beaucoup, confie-t-il. C'est plutôt un sacerdoce ! On numérise les pages à la main, une par une, on redresse, on réaligne, on imprime... C'est colossal, d'autant que notre règle est de ne faire que des intégrales. La réalité, c'est que c'est pratiquement impossible de tout rassembler. Mais c'est peut-être la chance unique qu'il reste une trace de ces BD dans l'avenir. Un exemplaire de chaque rentre à la Bibliothèque Nationale de France et il y restera. J'espère que dans quelques générations, on dira : heureusement que Douin a fait ça."

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