Il y a quelques mois, une portion de l’autoroute A1, l’une des plus empruntées de la région, s’est ouverte au covoiturage. Après le temps de la pédagogie est venu celui de la répression, avec pour la première fois en France la mise en place de contraventions. L’occasion de faire un premier bilan de ces mesures.
100.000 automobilistes empruntent chaque jour l'autoroute A1 en direction de Lille, mais 80% sont seuls dans leur véhicule. Le 4 septembre 2023, la Direction Interdépartementale des Routes (DIR) Nord a ainsi décidé d’ouvrir au covoiturage la voie de gauche entre l’échangeur de Dourges (sortie N°17) et celui de Seclin (sortie N°19). Une décision qui vise particulièrement les déplacements domicile-travail entre Lille et les territoires autour de Douai et d’Arras.
Cette nouvelle voie réservée est dite “dynamique” car elle s’appuie sur le système de régulation de vitesse en place depuis l’automne 2022 sur cette portion : plus le trafic est dense, plus la vitesse réglementaire baisse. Lorsqu’elle tombe à 70km/heures, une signalétique avec un losange blanc s’allume au-dessus des voies. Auquel cas seuls les véhicules transportant plus de deux personnes, électriques Crit’Air 0, taxis et prioritaires et sanitaires ont le droit d’y circuler.
L’objectif ? Inciter le plus grand nombre à adopter le réflexe du covoiturage. Et ce, pour plusieurs raisons. D’abord pour désengorger la circulation, car “chaque voiture partagée, c’est une voiture en moins sur l’A1”, plaide la DIR Nord. Ensuite et surtout, pour diminuer les émissions de gaz à effet de serre puisque les carburants représentent la première source de consommation énergétique en France, d’après le Ministère de la Transition énergétique. Un levier important de la décarbonation des mobilités, donc.
Contrôle-sanction
Si un temps de pédagogie a d’abord été de mise avec des campagnes de sensibilisation et une absence de sanctions, la voie réservée de l’autoroute A1 est devenue le 6 novembre la première sur les six existantes en France à verbaliser les contrevenants. Les automobilistes présents sur cette voie lorsqu’elle est réservée (en heure de pointe), s’exposent à une contravention de 90 euros si elle est payée dans les quinze jours, 135 euros si majorée, sans retrait de points.
Les chauffeurs poids lourds, eux, doivent payer une double amende. Les CRS de la compagnie autoroutière des Cantons ont été sollicitées pour contrôler ce tronçon de 13 kilomètres. Au matin du deuxième jour, 54 amendes ont été données et une soixantaine le mercredi 8 novembre, selon les chiffres de La Voix du Nord.
Hasard ou conséquence directe des verbalisations, une hausse de l’utilisation du covoiturage a été observée par rapport à octobre, bien plus importante que la moyenne nationale, établie à 9% : +151% dans la Communauté de communes des campagnes de l’Artois pour un total de 83 covoiturages, +60% dans la Communauté de communes du sud de l’Artois avec 183 covoitureurs et +43% dans la Communauté d’agglomération du Douaisis, soit 1.595 véhicules partagés, selon les chiffres de l’Observatoire National du Covoiturage au Quotidien.
"Nous n'avons pas encore tout à fait le recul pour dire si le bâton fonctionne mieux que la carotte. Difficile d’affirmer avec certitude que les contraventions ont augmenté l’utilisation de la voie, mais elles semblent être un effet de bord assez certain."
Tom Attias, responsable de la communauté d’utilisateurs de l’application de covoiturage Karos.
Une caméra thermique pour verbaliser
Pour verbaliser, un “instrument de constatation automatique” doit prendre la suite de la compagnie routière. Ce radar équipé d’une caméra thermique pourra vérifier le nombre de personnes dans le véhicule et lire les plaques d’immatriculation afin de déterminer s’il s’agit d’un véhicule électrique ou hydrogène autorisé à rouler sur cette voie. 8 équipements de constatation automatique de ce type doivent être implantés sur le réseau, d’après le ministère des Transports.
Avec ou sans verbalisation, ce dont Tom Attias, responsable de la communauté d’utilisateurs de l’application de covoiturage Karos est sûr, c’est que la création de cette voie dynamique favorise les initiatives individuelles : “Il y a eu une croissance considérable sur les communes proches des échangeurs avec cette contrainte de voie réservée”, estime-t-il en expliquant la multiplication des demandes d’entreprises souhaitant mettre en place des communications pour inciter leurs employés à covoiturer. “Mais ça reste trop parcellaire. On est encore très loin de ce que l’on peut faire”, déplore-t-il, lui qui voit dans le covoiturage la possibilité de concilier écologie et économie.
Covoiturer en flexibilité
Sans oublier que l’utilisation d’une voie de covoiturage peut représenter jusqu’à 20% de temps gagné pour les véhicules en covoiturage, d’après la DIR Nord. Un cercle vertueux pour tous qui peine à se détacher des idées reçues. “On associe beaucoup de freins au covoiturage, concède Tom Attias. On se dit ‘si j’ai des horaires décalés ou une réunion qui dure plus tard, je ne veux pas être dépendant de Christelle ou Guillaume. Mais la magie du covoiturage c’est la combinaison de la densité d'utilisateurs et de la technologie.”
Le nombre d'utilisateurs - 1 million pour Karos - permet de planifier ses covoitureurs en amont ou d’attendre 10 minutes avant le départ pour trouver quelqu’un souhaitant rentrer au même moment. Et à chacun sa manière de faire.
"Nous on pense que l’essayer c’est l’adopter. Le plus dur c’est de faire le premier pas."
Tom Attias
Pour aider les automobilistes à passer cette étape, des incitations financières sont mises en place par l’application et par le gouvernement avec une prime au covoiturage de 100 euros, dont la reconduction pour un an a été annoncée ce mercredi 13 décembre.
“On espère continuer à appuyer sur cette pédale d’accélération”, indique Tom Attias, qui espère que les prescripteurs locaux et les employeurs du privé et du public pousseront eux aussi en ce sens, afin que le poids du changement ne soit pas uniquement porté sur les citoyens, dont les habitudes et les mentalités doivent également encore évoluer.
De nouvelles voies réservées en 2024
La multiplication des voies réservées pourrait donc aider à la mobilisation de divers acteurs, puisque le gouvernement entend accentuer ce dispositif. Sur l’A1, selon les résultats de l’expérimentation prévue au moins jusqu’à l’année prochaine, la voie pourra “être étendue au nord de l’échangeur de Seclin, vers Lille, testée dans le sens Lille - Paris, ou bien encore dupliquée sur d’autres tronçons d’autoroute menant à l’agglomération lilloise”, indique la DIR Nord.
De nouvelles voies réservées doivent ensuite ouvrir en 2024, notamment 8 kilomètres sur l’autoroute A7, d’après le ministère des Transports : “Il faut accompagner la mise en place de ces voies par des équipements qui permettent de constater et de vérifier que l’utilisation est vraiment effective”, plaide Claire Vieillard, conseillère innovation, mobilités actives et partagées, et stratégies de mobilité du Ministre délégué chargé des Transports. Tandis qu’au niveau national, les plateformes enregistrent 40.000 trajets quotidiens domicile-travail, le gouvernement fait part d’un objectif de 3 millions de trajets quotidiens, ce qui permettrait d’économiser 1% des effets de serre de la France.