Opposés à la réforme du lycée et du baccalauréat, 64 professeurs de philosophie ont voté, mercredi 3 juillet, pour le maintien de la grève devant le rectorat de Lille. Ils s'engagent à ne pas communiquer les notes des copies au rectorat, ce qui devrait entraîner un retard dans les résultats du bac.
Contrairement à ce qu'il avait affirmé lundi 1er juillet, Jean-Michel Blanquer a d'abord prévenu désormais qu'il y avait "un petit risque" que des lycéens n'aient pas les résultats du bac le jour J, le vendredi 5 juillet : "Je ne peux pas le cacher, nous sommes en train de tout faire pour que ça ne soit pas le cas", a-t-il déclaré ce mercredi 3 juillet sur RMC.Avant de revenir sur sa déclaration sur France 3 : "Tous les élèves auront leurs notes. (...) Si d'aventure une note manque, ce que nous faisons par exemple lorsqu'il y a une perte de copies, nous mettons la note de la moyenne dans la discipline concernée, a détaillé le ministre. Ce sera une note provisoire. Quand, ensuite, on aura la note définitive, on pourra prendre la meilleure des deux notes, de façon à ce que l'élève ne soit pas lésé."
Le Nord Pas-de-Calais est concerné. 34 professeurs de philosophie, qui ont corrigé chacun au minimum 110 copies, ont voté ce matin le maintien de la grève contre la réforme du bac et du lycée, lors d'une assemblée générale devant le rectorat de Lille. Ils se sont engagés à ne pas communiquer les notes des copies au rectorat.
Normalement, ils avaient jusqu'à mercredi soir pour effectuer la saisie informatique des notes des bacheliers pour que ceux-ci puissent obtenir leurs résultats comme prévu, vendredi prochain. Ce sont donc 3 740 élèves qui seraient concernés par ce retard des résultats du bac de philo, sur un total de près de 48 000 bacheliers dans le Nord Pas-de-Calais.
Cette "rétention" des copies signe le fort mécontentement des enseignants pour tenter de rouvrir des négociations avec le ministère de l'Éducation, sourd à leurs revendications. Depuis le début des épreuves le 17 juin dernier, des correcteurs cherchaient déjà à contraindre le gouvernement en faisant grève.
À l'échelle nationale, les académies de Versailles, Créteil, Toulouse, Lyon ou encore Dijon sont également touchées. Selon Jean-Michel Blanquer, "il y a quelques petites minorités de professeurs, autour de 2,5%, qui menacent de ne pas donner les copies à temps."
Le collectif "Bloquons Blanquer", qui tient un décompte en ligne, avance le chiffre de 126 000 copies actuellement retenues, sur un total de 4 millions de copies.
Selon Frédérique Rolet, secrétaire générale et porte-parole du Snes-FSU, "autour de 110 000 copies sur à peu près 4 millions sont retenues par les correcteurs", a-t-elle affirmé mardi 2 juillet sur Franceinfo. Au total, plus de 740.000 candidats ont passé le bac cette année.
#RetentionDesNotes cela concerne environ 130000 copies, ce qui peut toucher un quart des candidats au #Bac. Il ne s'agit pas de bloquer, mais de faire face à un ministre qui joue la carte de l’affrontement avec les personnels. @FredRolet sur @RTLFrance
— SNES-FSU (@SNESFSU) 3 juillet 2019
Un ministère sourd aux revendications des enseignants
"Pour se faire entendre, on a commencé par faire grève mais le ministère méprise les organisations syndicales, fait comme s'il n'y avait pas de mouvement de grève. On a donc décidé d'agir de manière plus forte, avec cette action qui s'appuie sur le bac, explique une professeure de philosophie présente ce matin à l'assemblée générale à Lille, Anne Dulleboy.
Un avis partagé par une consœur, Florence Gravas : "Nous essayons de discuter avec notre ministère depuis des mois sur cette réforme qui pose beaucoup de problèmes puisqu'elle aboutit à une inégalité sociale accrue. D'autre part, nous n'avons pas été écouté ni concerté."
Elle assure que tous ont bien corrigé leurs copies : "Nous avons fait notre travail, nous avons corrigé nos copies mais nous décidons d'être grévistes pour essayer de nous faire enfin entendre."
Les enseignants veulent que le gouvernement revienne sur sa réforme qu'ils jugent "précipitée", avec le risque de voir le bac, examen national, transformé en "un bac local", selon Anne Dulleboy.
"On attend vraiment des réponses du ministère, qui doit montrer un signe d'ouverture. On ne voulait pas en arriver là. Mais on pense aux élèves et on pense aussi à tous les futurs élèves qui vont passer ce bac dégradé qu'on aura d'ici-là", estime Stéphane Enjalran, professeur de philosophie au lycée Guy Mollet à Arras et représentant national de l'Union syndicale solidaires.
Rassemblement contre les réformes Blanquer à Lille #1erjuillet . #stopmepris @snesdelille @SNESFSU Une grève le 1er jour du dnb pic.twitter.com/6EPZ5ySgwf
— FSU Hauts-de-France (@FSUHauts_France) 1 juillet 2019
Des sanctions pour les professeurs grévistes ?
En réaction, le ministère de l'Éducation nationale a déclaré que "tous les grévistes ont été contactés par les rectorats" et qu'ils "s'exposent à des retenues sur salaires pouvant aller jusqu'à 15 jours". Pour la professeure de philosophie, "cela fait partie des peurs qu'on agite pour susciter le désaveu des professeurs."
Les correcteurs sont en effet tenus de rendre leurs copies, "propriété de l'État", au moment des jurys d'harmonisation qui se tiennent jeudi 4 juillet, rappelle la rue de Grenelle. Faute de quoi ils s'exposent à des "sanctions très graves".
Ces jurys, composés des correcteurs et présidés par un universitaire, regardent l'intégralité des notes d'un candidat et jugent, en cas d'échec, s'il peut être admis ou mérite d'aller au rattrapage.
"Il va suffire d'un prof gréviste par jury pour invalider sa tenue", affirme Clara, une professeure de philosophie à Paris. "Dans de très nombreux jurys, il manquera les notes de plusieurs matières".
Une rupture d'équité ?
Si toutefois des copies sont rendues mais non corrigées, le ministère assure qu'il mobilisera des correcteurs de dernière minute. Ce qui entraînerait une rupture d'équité dans les conditions de correction, dénoncent les professeurs grévistes.
Pour le ministère, l'objectif "est de les publier vendredi comme prévu". "Une petite minorité d'élèves" pourrait toutefois ne pas les connaître à ce moment-là.
"J'espère que le ministère ne va pas afficher les résultats pour certains et pas pour d'autres, ce ne serait pas raisonnable", juge Frédérique Rolet, secrétaire générale du Snes-FSU, premier syndicat du secondaire sur RTL.
Anne Dulleboy précise qu'ils vont "décider de la suite du mouvement demain" et qu'elle "finira bien par rendre ses copies."