Légués en 1886, le domaine de Chantilly et ses collections sont au cœur d'une enquête du parquet national financier sur un appel d’offres qui aurait fait d'une dépendance un hôtel de luxe. Si les faits sont avérés l'Institut de France pourrait en perdre la propriété.
C’est une polémique dont l’Institut de France aurait préféré se passer. Jeudi, l’avocat des membres de la famille du Comte de Paris a confirmé une information révélée par le Canard enchaîné : ses héritiers tentent de faire annuler le legs du domaine de Chantilly à l'Institut de France daté de 1886 et d'en récupérer la pleine propriété. Lointains héritiers du duc d'Aumale et fils d'Henri d'Orléans, Comte de Paris décédé en 2019, les frères Eudes et Jean d'Orléans estiment que le fait d’avoir envisagé de faire du pavillon d'Enghien un hôtel de luxe est une "entorse" au legs initial du 25 octobre 1886, qui entraînerait de fait la nullité du legs.
Il y a de grands enjeux pour le domaine d’autant plus après cette pandémie. Nous souhaitons surtout dire aux gens ‘venez voir la beauté de cette collection, le travail de préservation qui est fait’, nous n'avons n’a pas vraiment besoin de toutes ces polémiques. D’autant que le testament est très clair, tout est très contrôlé, c’est très suivi, limpide. Il n’y a pas de marge de manœuvre.
Le domaine de Chantilly est en effet doté d'un statut très particulier. Henri d'Orléans (1822-1897) avait conditionné ce legs à des règles très strictes, interdisant de prêter, de vendre ou de faire voyager les milliers d'objets et tableaux, de modifier l'accrochage des tableaux ou encore de procéder à un quelconque changement dans l'architecture extérieure ou intérieure. Si jamais sa volonté était bafouée, "la présente donation serait révoquée et le donateur et ses héritiers recouvriraient immédiatement la pleine propriété" de tous les immeubles et objets, prévenait le testament.
Dans un courrier adressé en novembre au procureur national financier, les héritiers ont rappelé les conditions de ce legs et fait part de leur "inquiétude grandissante", évoquant par ailleurs des "suspicions de disparition d'œuvres". Par conséquent, ils ont demandé à être considérés comme des "victimes directes" d'infractions qui pourraient avoir été commises dans le domaine et à intervenir en tant que tel dans l'enquête du parquet national financier (PNF).
Un appel d’offres et une démission qui sèment le doute
Depuis août, le domaine de Chantilly fait l'objet d'une enquête préliminaire du PNF pour "entente et favoritisme". "Si le domaine de Chantilly est effectivement aussi mal géré que les rumeurs le disent, il faut trouver une solution pérenne pour sauver ce joyau de l'histoire de France", a déclaré à l'AFP Me Olivier Baratelli, avocat des héritiers du duc d'Aumale. "Si les faits sont avérés, il est prévu que la famille récupère l'ensemble du domaine", a-t-il précisé.
Le parquet national financier étudie en particulier la conformité de l’appel d’offres, aujourd’hui abandonné, lancé par l’Institut de France. La démission de Didier Selles seulement deux semaines après avoir été nommé administrateur du domaine de Chantilly et qui mettait en doute les procédés de l’appel d’offres est au cœur des interrogations. Dans une lettre récupérée par le Canard enchaîné, Didier Selles estimait alors que le prix de cette concession engagée pour 50 ans était trop faible, et que parmi les trois candidatures réunies pour cet appel d’offres, deux étaient " anecdotiques". De quoi laisser penser que le jeu était faussé.
La Cour des comptes, elle-même, avait estimé que "les contours de ce projet gagneraient à être précisés, en particulier sur la part respective des travaux de restauration prise en charge par l’Institut et le concessionnaire, les recettes qui peuvent être raisonnablement attendues de ce projet pour le domaine de Chantilly".
Contacté mardi 7 décembre au matin, l’Institut de France a concédé l’existence "d’enjeux bien précis concernant l’avenir notamment de son financement." "Pour toute action qui touche à Chantilly, il faut passer par le juge et obtenir l'accord de la famille. C’est ce que nous avons fait avec notre service juridique, c'est un dispositif très encadré", a t-il répété et conclu.