Violences conjugales - Le boitier testé à Compiègne écarté par le ministère de la Justice : "on freine une initiative en pleine expérimentation"

Le boîtier "Mon shérif" permettant aux femmes victimes de violences conjugales d'alerter leurs proches si elles se sentent en danger est testé à Compiègne depuis l'été 2021. Alors que le dispositif semble bien fonctionner, le ministère de la Justice a décidé de l'écarter au profit d'un bracelet.

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Testé à Compiègne depuis l'été 2021, le boîtier Mon shérif a été mis en place en complément du téléphone grave danger et du bracelet anti-rapprochement. Ces deux outils sont déjà utilisés très régulièrement par le tribunal judiciaire : sur les 9 téléphones mis à disposition 8 ont été attribués à des victimes. Quant au bracelet anti-rapprochement, 16 ont été prononcés par le tribunal.

Ceci étant, il manquait une solution pouvant être mis en place notamment entre le dépôt de plainte et le procès. "Le temps de l'enquête, si la victime veut regagner son domicile, elle n'aura pas la possibilité de se voir attribuer de téléphone grave danger car il n'y a pas d'interdiction de contact entre la victime et l'auteur. Il fallait donc trouver un outil sensiblement similaire", explique la Procureure de la République de Compiègne, Marie-Céline Lawrysz.

Il existe bien des bracelets App-Elles dont l'association France Victimes dispose, mais "moi ces bracelets, je n'ai pas réussi à les faire fonctionner. Donc c'est assez naïvement que nous avons essayé de trouver une solution", poursuit-elle.

Des retours positifs des victimes

Le parquet et l'association France Victimes s'intéressent alors au boîtier Mon shérif. L'outil, créé par Dominique Brogi en mai 2016, est déjà utilisé par d'autres juridictions comme Meaux, Melun, Fontainebleau, Auxerre, mais aussi par des collectivités territoriales et des associations. Il a pour vocation de prévenir les proches de la victime, sur simple pression, lorsque celle-ci se sent en danger.

Pour lancer l'expérimentation à Compiègne une convention est passée. La préfecture subventionne le dispositif à hauteur de 2500 euros pour l'attribution de 50 boutons. Depuis août 2021, une trentaine a été distribuée par l'association France Victimes qui travaille en lien avec le parquet.

"C'est très pratique parce que tout petit. On peut le cacher n'importe où. Je l'ai tout le temps avec moi dans ma poche."

Une victime de violences conjugales

Selon les premiers retours, l'outil semble simple d'utilisation et efficace. "C'est un système que les bénéficiaires nous indiquent être très rassurant. Et c'est discret. Une personne qui vient déposer plainte peut être encore sous le même toit que l'auteur des violences. Il est donc important que la mesure de protection, le temps que l'enquête soit faite, soit la plus discrète possible", affirme Gisèle Traoré juriste au sein de l'association France Victimes 60.

Un moyen aussi de permettre aux victimes de porter plainte plus facilement. "C'est très pratique parce que tout petit. On peut le cacher n'importe où. Je l'ai tout le temps avec moi dans ma poche. Cela me rassure complètement, témoigne une victime de violences conjugales qui souhaite garder l'anonymat. On ose davantage porter plainte, on ose faire des choses qu'on l'on a pas fait avant justement parce que l'on a une sécurité entre ce moment-là et le procès."

"Cela fait longtemps que l'on sait que l'on est dans le collimateur"

Si pour le moment l'expérimentation semble concluante, récemment le ministère de la Justice est venu y mettre un sacré coup de frein. Dans une note envoyée aux juridictions et aux fédérations de victimes, il indique "qu'il est vivement déconseillé de signer des conventions avec la société Mon Shérif [...] et qu'il faut privilégier le téléphone grave danger, le bracelet anti-rapprochement et le bracelet App-Elles", résume la procureure de Compiègne.


Une information qui n'étonne pas la créatrice du boîtier Mon shérif, Dominique Brogi. "J'ai déjà été informée d'une circulaire au mois de juin écrite au conditionnel... Cela fait longtemps que l'on sait que l'on est dans le collimateur. J'essaye de rester calme", souffle-t-elle.

"Lorsque l'on a eu une jeune personne brillante qui a sorti l'application Tous Anti Covid, elle n'était pas fonctionnaire. Donc quand l'Etat veut, l'Etat peut"

Dominique Brogi, créatrice du boîtier Mon shérif

Le ministère de la Justice avance tout de même quelques arguments. En premier lieu, qu'il ne peut pas y avoir de lien entre des subventions publiques et une société privée. "Ce qui se fait pourtant déjà, la justice travaille par exemple avec Alliance ou avec Orange qui ne sont pas des entreprises publiques", rétorque Marie-Céline Lawrysz. "Lorsque l'on a eu une jeune personne brillante qui a sorti l'application Tous Anti Covid, elle n'était pas fonctionnaire. Donc quand l'Etat veut, l'Etat peut", enchaîne Dominique Brogi.

Deuxième argument : ce bouton coûterait de l'argent aux victimes. Attribué dans un premier lieu gratuitement, au bout de 25 appels, les victimes doivent en effet empiéter sur leur forfait de téléphone pour continuer à l'utiliser. Un argument peu recevable pour la créatrice du dispositif. "Il n'y a aucune victime de violence à ce jour, alors que cela fait 6 ans que Mon shérif existe, qui a activé 25 fois l'appel au secours. Donc c'est un faux débat."

"On n'est même pas venu voir comment ça fonctionnait"

Troisième argument : le ministère de la Justice, avant de développer un outil de ce type doit étudier le fonctionnement de celui-ci et en avoir une vision globale. Or l'expérimentation étant toujours en cours, à Compiègne du moins, le retour n'a pas pu être effectué. "C'est préjudiciable pour d'autres juridictions qui ne pourront pas déployer cette solution parce qu'on n'est même pas venu voir comment ça fonctionnait. On n'est pas venu voir quels étaient les besoins des associations et des juridictions, indique la Procureure de la République. Je ne suis pas contre le fait que le ministère me dise de ne pas l'expérimenter, je m'interroge juste sur le manque d'explications et le fait de ne pas nous avoir demander où on en était."

Pour Dominique Brogi, tout n'est finalement qu'une question de politique. "J'ai énormément de témoignages qui prouvent l'efficacité du dispositif, si je vous les lis tous on va y passer la nuit, confie-t-elle. Je suis sidérée que le gouvernement veuille imposer une solution unique. Il n'y a même pas eu d'appel d'offres..."

À Compiègne, Marie-Céline Lawrysz, aimerait quand même pouvoir terminer cette expérimentation en attendant de nouvelles directives du ministère. "Si le bilan est positif et qu'on souhaite poursuivre dans ce sens-là, il faudra trouver d'autres financements et je peux compter sur le soutien de la municipalité et sur celui d'autres collectivités territoriales. Néanmoins, je trouve ça dommage que l'on freine une initiative locale qui ne demandait juste qu'une expérimentation pour voir si cela fonctionne, déplore-t-elle. Compiègne, c'est un petit parquet, on n'a pas forcément beaucoup de moyens. On fait ce que l'on peut et on essaye de trouver des idées. C'est décourageant."

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