"1917" favori des Oscars : on vous raconte l'histoire de la Bataille de Bullecourt qui a inspiré le film de Sam Mendes

Le film 1917 fait partie des favoris pour la prochaine cérémonie des Oscars dimanche, avec 10 nominations. Son intrigue se déroule autour des villages d'Ecoust-Saint-Mein et Croisilles (Pas-de-Calais), s'inspirant d'un épisode méconnu de la Première Guerre Mondiale : la bataille de Bullecourt.

Sorti sur les écrans le 10 janvier, 1917 a déjà généré 250 millions de dollars de recettes dans le monde. En France, plus de 1,6 million de spectateurs l'ont vu au cinéma. Le succès est également critique puisque le film de Sam Mendes (American BeautySkyfall...) a raflé deux Golden Globes aux Etats-Unis et sept BAFTA, l'équivalent des César au Royaume-Uni.
 

Reportage de Yann Fossurier et Sergio Rosenstrauch. Avec Michel Guidez (maire d'Ecoust-Saint-Mein) et Aurélie Le Cadet (Musée Jean et Denise Letaille - Bullecourt 1917)
 
Et 1917 semble bien parti pour effectuer une belle moisson dimanche prochain, à Los Angeles, lors de la prestigieuse cérémonie des Oscars avec dix nominations, notamment pour le "Meilleur film", le "Meilleur réalisateur" et le "Meilleur scénario original".

Les résultats seront sans doute suivis avec attention dans le sud de l'Arrageois. Notamment du côté des villages d'Ecoust-Saint-Mein (500 habitants) et de Croisilles (2000 habitants) cités dans le film, mais aussi à Bullecourt (240 habitants) où se trouve un musée consacré à une bataille de la Première Guerre Mondiale qui a inspiré en partie le scénario du film.
  

Un épisode méconnu de la Première Guerre Mondiale


"Lorsque j'ai entendu parler de ce film en décembre, je pensais que l'histoire se déroulait dans les Flandres", explique Aurélie Le Cadet, la responsable du Musée Jean et Denise Letaille – Bullecourt 1917. "On l’a appris par le bouche à oreille".

L'action du film - déclinée en deux plans séquences - se déroule du 6 au 7 avril 1917. Alors que l'armée allemande effectue un repli stratégique, deux jeunes soldats britanniques (interprétés par George MacKay et Dean-Charles Chapman) sont envoyés par leur commandement à travers la ligne de front pour empêcher un officier de lancer ses troupes à l'assaut et de tomber dans le piège de l'ennemi.  
 

L'histoire de ces deux jeunes soldats est totalement fictive mais elle s'inspire à la fois des souvenirs du grand-père de Sam Mendes, qui était chargé de délivrer des messages sur le Front de l'Ouest, et de la première bataille de Bullecourt qui s'est déroulée les 10 et 11 avril 1917.
 

Le nom de Bullecourt n'est jamais prononcé dans le film, contrairement à ceux de deux communes voisines, Ecoust-Saint-Mein (occupée par les Allemands dans 1917) et Croisilles (où se trouve le bataillon britannique prêt à attaquer). Une référence qui n'a visiblement rien d'un hasard.
 

"Le film met l'accent sur l'Opération Alberich, le repli stratégique des Allemands vers la ligne Hindenburg construite à l'abri des regards des Alliés d'octobre 1916 à mars 1917", résume Aurélie Le Cadet. "Bullecourt se trouve dans le système de la ligne Hindenburg, le village est coupé par les lignes de tranchées allemandes. Il y a plusieurs lignes de tranchées, avec des abris souterrains".
 

"Quand ils se retirent, ils placent des pièges derrière eux, coupent des arbres et laissent les troncs sur les voies d'accès, ce qui est très bien montré dans le film", poursuit la responsable du musée bullecourtois. "Des canons sont abandonnés, on voit dans le film ces masses d'obus".
 

Mais la 62e Division britannique et la 4e Division australienne, postées dans ce secteur, ont bien du mal à interpréter ce mouvement de l'ennemi. Alors qu'un assaut se prépare pour le 10 avril 1917, l'état-major britannique décide finalement de l'annuler, les blindés devant soutenir les troupes étant en retard.

"Le message, c'est "N'y allez pas"", explique Aurélie Le Cadet. "Mais à cause de la neige (absente dans le film NDR), les communications ont été coupées. Les Australiens ont eu l'information, mais pas les Britanniques qui subissent de lourdes pertes le 10 avril".
 

L'offensive est finalement remise au lendemain, le 11 avril 1917, dès l'aube, mais c'est un nouveau fiasco. "Sur 11 tanks lancés sur la première bataille, deux seulement vont revenir". Les soldats australiens, qui avaient brièvement atteint et occupé des sections de tranchées allemandes, sont finalement obligés de se replier. 
 

Une seconde bataille de Bullecourt se déroulera quelques semaines plus tard, à compter du 3 mai 1917. "Les Britanniques ont repris Bullecourt, mais ils n'ont jamais pu aller au-delà. Ce n'est donc ni vraiment une victoire, ni vraiment une défaite", analyse Aurélie Le Cadet. D'autant que le village sera repris par les Allemands en mars 1918...
 
 

L'Arrageois reconstitué... en Grande-Bretagne


Contrairement au Dunkerque de Christopher Nolan, tourné en grande partie sur les véritables plages de l'Opération Dynamo de 1940, aucune scène de 1917 n'a été filmée dans l'Arrageois.
 
Mais l'équipe du film a quand même sillonné les Hauts-de-France et ses lieux de mémoire pendant son écriture. "Je suis allée à Écoust, au Mémorial de Thiepval, à Beaumont Hamel, où un Mémorial rend hommage aux sacrifices des soldats de Terre-Neuve, et au Trou de mine de La Boisselle", énumère la co-scénariste Kristy Wilson-Cairns dans le dossier de presse.

Sam Mendes, son chef-opérateur Roger Deakins et son chef-décorateur Dennis Gassner ont également visité de leur côté le mémorial de Vimy où des tranchées ont été reconstituées.
 

Mais les choses en sont restées là. L'équipe de production s'en explique d'ailleurs. "La plupart de ces sites sont le théâtre d'opérations historiques", justifie Emma Pill, la régisseuse des décors extérieurs dans ce même dossier de presse. "On trouve encore des munitions dans le sol. Du coup, on n'aurait jamais pu faire les excavations requises par l'intrigue. En outre, il y a encore des cadavres dans la terre. Il fallait qu'on trouve un lieu de tournage qui nous évite de bouleverser ces zones historiques et de déshonorer ceux qui sont morts au combat". 
 

"On comprend tout à fait pourquoi ils n’ont pas filmé sur place", acquiesce Aurélie Le Cadet, la responsable du Musée Jean et Denise Letaille – Bullecourt 1917. "Si on commence à creuser, on tombe forcément sur des munitions, ce qui arrive souvent ici à des agriculteurs. Utiliser des artifices pour faire des explosions aurait été dangereux. Et il y a effectivement encore beaucoup de corps ensevelis. A Bullecourt, il y a 1800 Britanniques et plus de 2200 Australiens dont on n'a jamais retrouvé les corps".

Les champs de bataille de l'Arrageois ont donc été reconstitués de l'autre côté de la Manche.
 

La production a pu tourner sur le plateau de Salisbury, dans le Wiltshire, un comté du sud-ouest de l'Angleterre, où le ministère de la Défense possède plus de 38 000 hectares de terrain.
 

Des tranchées y ont été creusées tout comme sur le terrain d'aviation de Bovingdon (Hertfordshire), une localité située au nord-ouest de Londres. Le village d'Ecoust-Saint-Mein a été recréé en studio, à Shepperton, avec son église et ses maisons en flammes. "On dirait plus une petite ville comme Bapaume qu'un village", note Aurélie Le Cadet. 
 

Autre "anomalie" : le héros de 1917 se jette à un moment dans des rapides qui débouchent sur une vertigineuse cascade. Ce type de cours d'eau n'existe pas dans l'Arrageois mais il permet d'offrir une scène impressionnante aux spectateurs, tournée dans la rivière Tees, près de Durham, dans le nord-est de l'Angleterre. A Ecoust-Saint-Mein, il existe bien un Fossé aux Eaux Sauvages, mais il ne s'agit que d'un petit ruisseau... Et La Sensée - qui traverse la commune voisine de Croisilles - n'est qu'un tout petit affluent de l'Escaut, dont le lit est très étroit à cet endroit.
 
De même, Sam Mendes a voulu que son héros franchisse un pont détruit, au-dessus d'un canal pour rejoindre Ecoust-Saint-Mein.
 

Le village se situe à quelques kilomètres du canal du Nord. Mais si son creusement avait bien débuté en 1908, avant le déclenchement de la Première Guerre Mondiale, il n'a été mis en service que dans les années 1960...

Cette scène de 1917 a été filmée sur les docks de Govan, à Glasgow, en Ecosse. 
 
 
 

Souci du détail  


Pour autant, hormis ces quelques "scories" au service du scénario et de l'action, 1917 reste un film extrêmement documenté et précis dans ses références. Sam Mendes a fait appel pour cela à deux consultants historiques, Peter Barton et Andy Robertshaw, ainsi qu'à un conseiller militaire, Paul Biddiss. Ce qui se ressent à l'écran. "Il y a un souci de réalisme, de coller à la grande Histoire", salue Aurélie Le Cadet. "Il n'y a pas de contre-sens, pas de romance excessive. En voyant le film, j'avais l'impression que les pièces qu'on expose ici au musée prenaient vie". 

Sur sa page Facebook, le Musée Jean et Denise Letaille – Bullecourt 1917 a soulevé un détail assez pointu du film : en traversant le No Man's Land qui sépare les belligérants, les soldats Blake et Schofield passent à côté d'un tank britannique, renversé.
 
"L'équipe du film a modélisé un tank conservé au Tank Museum à Bovington (dans le Dorset, sud de l'Angleterre NDR)", souligne Aurélie Le Cadet. "C'est un tank Mark II n°785 qui a combattu à Bullecourt lors de la 2e bataille. Un des deux seuls exemplaires qui existe encore. C'est un détail historique important, car ils auraient très bien pu prendre un autre char, par exemple de type Mark IV, ultérieur. On possède au musée quelques pièces de Mark II".
 

Le Musée Jean et Denise Letaille – Bullecourt 1917 propose à ses visiteurs quelque 2000 artefacts trouvés sur le champs de bataille (munitions, armes, uniformes, ustensiles...). Il s'agissait à l'origine d'une collection privée rassemblée par l'ancien maire de Bullecourt, Jean Letaille, décédé en 2012, peu de temps avant l'inauguration de l'actuel musée, dont les travaux avaient été financés par le gouvernement australien, le Conseil départemental, le Conseil régional et la Communauté de commune du sud-Artois.

Après un brève trêve hivernale pour cause d'inventaire et de dépoussiérage des collections,  le musée bullecourtois rouvrira ses portes le samedi 15 février. Il accueille en moyenne 4000 visiteurs par an. Mais ce chiffre pourrait peut-être progresser ces prochains mois avec le succès de 1917.
 

D'autres lieux de mémoire de la Grande Guerre se trouvent également dans les environs.
 

A Croisilles et Ecoust-Saint-Mein, on dénombre six cimetières militaires britanniques (pour un total de 2746 tombes), témoins des violents combats survenus ici en 1917 et 1918.
 
Ecoust-Saint-Mein et Croisilles dans la musique du film
Les villages d'Ecoust-Saint-Mein et Croisilles figurent également dans la... musique du film 1917 composée par le musicien américainThomas Newman (The Player, Larry Flint, American Beauty, La Ligne Verte, Rencontre avec Joe Black, Le Monde de Nemo, Wall-E, Skyfall, Le Pont des Espions...).

"Ecoust-Saint-Mein" (2:36) et "Croisilles Wood" (2:06) font en effet partie des dix-neuf titres de cette bande-originale nommée pour l'Oscar de la meilleure musique.
  
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