Le scénario est digne d'un film hollywoodien : Béatrice Huret, 45 ans, ex-sympathisante FN tombée amoureuse d'un des Iraniens faisant partie des "bouches cousues" de la Jungle de Calais, est jugée mardi au tribunal correctionnel de Boulogne-sur-Mer pour l'avoir aidé à traverser la Manche.
Soupçonné d'avoir organisé "le passage d'étrangers au Royaume-Uni et en assurant leur prise en charge (...) en bande organisée", elle encourt une peine de dix ans de prison, notamment pour avoir fait passer son amoureux en bateau vers la "terre promise" anglaise en juin 2016. Trois autres prévenus - un "No border" français, une Française mère de quatre enfants et un Iranien de 26 ans - seront également à la barre pour le même motif.
Veuve depuis 2010 d'un mari travaillant à la police aux frontières (PAF), Béatrice Huret, mère d'un ado, formatrice pour adultes, menait une vie routinière. Comme elle le dévoile dans l'ouvrage "Calais mon amour" (édition Kero, diffusé à 13.000 exemplaires), sa vie bascule une première fois en février 2015 lorsqu'elle prend en stop un jeune Soudanais perdu dans le centre ville de Calais pour l'accompagner à la "Jungle", le bidonville alors naissant. "Cela a été un choc", expliquait-elle début juin.
Elle décide alors de s'y rendre régulièrement comme bénévole. Elle est bouleversée par la manifestation d'un groupe d'Iraniens qui s'étaient cousus la bouche pour protester contre le démantèlement d'une partie du camp... Et ressent "un coup de foudre" pour l'un d'eux, Mokhtar, leur porte-parole, alors âgé de 35 ans, originaire de Javanroud et converti au christianisme.
Après avoir perdu sa trace, elle accepte plus d'un an plus tard via une connaissance de la "Jungle" d'accueillir Mokhtar et un autre Iranien à son domicile, où elle vit avec son fils et sa mère. Leur relation débute : "Mokhtar m'a rendu le goût de l'amour oublié", écrit cette ancienne électrice du FN, pour qui elle votait "sans se poser de questions". Mais désireux de rejoindre l'Angleterre coûte que coûte, Mokhtar tente un passage outre-Manche en camion. Echec. Vient alors l'idée d'acheter un bateau pour la traversée - périlleuse - du détroit, une pratique peu courante.
"Je l'ai fait par amour"
Après avoir acheté sur le "Bon coin" un bateau, inscrivant sur la carte grise le nom de son défunt grand-père, elle organise avec Laurent C., autre prévenu, la traversée le 11 juin 2016 au départ de Dannes, entre Le Touquet et Boulogne, avec deux autres passagers iraniens. Après une journée d'angoisse, elle découvre sur le site du Daily Mail que "trois migrants iraniens ont été secourus par les garde-côtes" alors que l'embarcation chavirait, mettant un terme "au périple qui avait duré huit mois depuis l'Iran".
Transféré dans un foyer du nord de l'Angleterre, Mokhtar, qui a obtenu depuis le statut de réfugié, reçoit régulièrement la visite de Béatrice Huret... Qui est interpellée à son travail mi-août et placée en garde à vue. Accusée d'être une passeuse, elle rétorque dans son livre : "j'ai amené un bateau sur une plage. Point. Je l'ai fait par amour (...), ça ne m'a rien rapporté".
Mais selon l'accusation, les mis en cause faisaient bien partie d'une structure organisée de passeurs de migrants, occasionnant de juteux profits pour certains d'entre eux. En outre, Béatrice Huret aurait déposé deux autres Iraniens dans un bois à Zoteux à proximité de camions mi-juillet, bien après le passage de Mokhtar. "Ma cliente a fait tout ça pour raison humanitaire. Je ne vois pas comment on va pouvoir retenir la bande organisée", a indiqué Me Marie Hélène Calonne, qui plaidera la relaxe.