C'était le 27 décembre 1974. 42 mineurs étaient tués par un coup de grisou à Liévin, 710 mètres sous terre, dans l’une des plus tragiques catastrophes minières de l’histoire de la France. Parmi eux, Paul, dont le fils Michel, même 50 ans après, ne peut retenir ses larmes en évoquant le drame. Un film documentaire consacré aux descendants des victimes sera diffusé sur notre antenne le 16 janvier 2025.
Ce 27 décembre 2024, comme chaque année depuis cinquante ans, un hommage sera rendu aux 42 victimes de la catastrophe minière de Liévin. Une cérémonie "solennelle et un peu différente", comme l'a souhaité le maire de la ville, Laurent Duporge. Au programme, l'inauguration d'une fresque commémorative, la diffusion en avant-première d'un documentaire et l'allumage d'une flamme, en mémoire des disparus.
Parmi eux, Paul Vandenabeele. Il était contrôleur d'étançons, des supports utilisés pour soutenir le plafond des galeries dans les mines. Ce matin du 27 décembre 1974, il a repris le travail dans la fosse Saint-Amé, après avoir fêté Noël en famille les 25 et 26, jour de la Saint-Etienne traditionnellement chômé. Sa femme lui a demandé de ne pas partir. Il a tenu à "finir avec les copains". Alors il est parti. Et il n'est jamais revenu.
À quinze jours de la retraite
Aujourd'hui, Michel a 67 ans, il est le neuvième des douze enfants de Paul. "J'avais 16 ans et demi quand il y a eu la catastrophe.", se souvient-il dans un film documentaire réalisé et produit par Germain et Robin Aguesse et sobrement intitulé La catastrophe de Liévin. À l’époque, le jeune homme travaillait déjà dans le bâtiment, pour aider à subvenir aux besoins de la famille.
"Ce jour-là, j'étais d'intempérie, le chef nous avait dit de rester chez nous, à cause du temps qui était mauvais. Quand la catastrophe est arrivée, j'étais là du début jusqu'à la fin.", raconte-t-il avant de s'interrompre, ému. Michel garde gravée dans la tête la dernière image qu'il a de son père vivant. "Je descendais et il était là avec sa musette, prêt à partir à la fosse avec sa mobylette. Il lui restait quinze jours à faire avant la retraite."
"Le jour de Noël, on a fait un bon réveillon, on s'est bien amusés, on a dansé, c'était super. Mais le 27, il a fallu qu'il y retourne." Peu après six heures du matin, ils sont donc 90 mineurs à prendre leur poste pour poursuivre des travaux dans une galerie de 1 200 mètres de long. À 6h19, un bruit sourd retentit au fond de la fosse 3 (dite Saint-Amé) du Siège 19 des mines de Lens à Liévin. 42 hommes ne reverront jamais le jour.
Très rapidement, Michel et son grand frère, lui-même mineur à Avion, sont sur place. "On a vu entrer des cercueils vides mais aussitôt, ils refermaient la grande porte, on ne pouvait pas voir ce qu'on voulait." Les frères finissent par entrer, à la recherche de leur père, quand on leur annonce : "Vandenabeele ? C'est là-bas, cherchez, y'a l'étiquette sur le cercueil."
Quand on lui a dit qu'il était mort, ma mère est tombée.
Michel VandenabeeleDescendant d'une des victimes de la catastrophe de Liévin
"Alors on l'a vu. Le cinquième cercueil, c'était mon père. Au fond, il y avait une femme qui tapait sur un cercueil en criant : « Reviens, reviens ! », et elle criait un nom. On est repartis à la maison et on l'a dit à ma mère. Elle est tombée. Quand on lui a dit, elle est tombée. Et après, ça a été terrible."
"On a repris notre père à la maison jusqu'au 31. On n'a pas voulu le laisser là-bas. Quand j'ai demandé à un sauveteur dans quel état il était, il n'a pas voulu me répondre. Nous, on voulait savoir si c'était lui qui était dedans. On se demande toujours."
"En dessous du cercueil, un liquide coulait. Le sauveteur m'a dit : « C'est parce qu'on les a lavés. On était obligés, pour les reconnaître. ». Y'a rien à répondre à ça."
Michel se remémore l'enterrement, la cérémonie, la "grande tente", les chaises, le froid, la couverture qu'il avait pensé à prendre pour mettre sur les jambes de sa mère. Sa mère que les Houillières tenteront d'expulser pour récupérer la maison, puisqu'elle n'était pas mariée. "Elle a finalement pu la garder tant qu'elle avait des enfants en bas âge. Elles ont eu un sacré courage, les veuves. Elles étaient jeunes. On les a qualifiées de veuves joyeuses.", s'attriste Michel, devenu alors soutien de famille.
Depuis, il porte avec lui une immense tristesse. "C'est ce qui m'a le plus marqué en faisant le film, confie Robin Aguesse, l'un des deux réalisateurs. Quand Michel livre son histoire, cinquante ans après, c'est toujours avec la même profonde souffrance."
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"La première fois qu'on l'a rencontré, complète son frère Germain, Michel était tellement ému qu'il n'arrivait pas à parler. Comme si l'événement avait eu lieu la veille. Alors ce film, il est nécessaire. Pour que la mémoire de ceux qui ont vécu ce drame ne s'éteigne pas, que l'histoire de ces mineurs ne tombe pas dans l'oubli."
D'autres descendantes, ainsi qu'une veuve de mineur, sont interviewées dans le documentaire. Pour Annie Kubiki, dont le père gazier fut l'un des rares rescapés, tous les 27 décembre, la journée se redéroule. "Je vois ma porte d'entrée, ma petite maison, la table sur laquelle je travaillais. Je vois les ambulances, ce carreau de fosse... Ça ne peut pas devenir un souvenir, ça reste présent. C'est un événement qui a choqué notre vie."
Ces hommes, ils ont existé, ils ont travaillé, ils ont laissé leur vie à leur travail. Il ne faut pas oublier.
Micheline LhermiteVeuve d'une des victimes de la catastrophe de Liévin
Le mari de Micheline Lhermite, lui, était sondeur. Ensemble, ils ont eu cinq enfants. "J'avais 34 ans quand il est décédé, lâche-t-elle en tremblant. Il en avait 35. Je m'étais mariée à 17 ans. C'était un premier amour... Il faut que tous les petits bouts de chou qui arrivent sachent qu'ils ont eu un grand-père qui a été tué aux Houillères. Ces hommes, ils ont existé, ils ont travaillé, ils ont laissé leur vie à leur travail. Il ne faut pas oublier."
C'est pour ce devoir de mémoire que le film existe. Il sera diffusé en avant-première aux familles des victimes, le 27 décembre 2024 à 17h30 au cinéma Pathé de Liévin, puis sur l'antenne de France 3 Hauts-de-France le 16 janvier 2025 à 22h50.
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C'est aussi pour "ne pas oublier" qu'André Verez, fils d'un des huit rescapés de la catastrophe et président de l'Association du 27 décembre 1974, a tenu à faire de ce cinquantenaire un moment particulièrement fort. Pendant des mois, il a oeuvré à retrouver les familles des 42 disparus.
"J'ai voulu mettre à l'honneur les enfants, les petits-enfants, les arrière-petits-enfants. On n'a pas retrouvé tout le monde, mais je dirais au moins 70%. Nous voulions être acteurs de cette commémoration. C'est donc nous qui allons porter les portraits des victimes. Pour nos familles, c'est arrivé hier, on vit toujours avec cette douleur et on ne veut pas que cette catastrophe tombe dans l'oubli."
Bien sûr, comme je dis toujours, j'ai eu de la chance de garder mon père. Mais mon père, lui, a-t-il eu de la chance de survivre ? C'était un homme brisé.
André VerezPrésident de l'Association du 27 décembre 1974
L'homme s'appelle André, comme son père. Il garde un souvenir très dur de cette journée. "Mais aussi des mois et des années qui ont suivi. Bien sûr, comme je dis toujours, j'ai eu de la chance de garder mon père. Mais mon père, lui, a-t-il eu de la chance de survivre ? Avec les séquelles physiques et psychologiques... C'était un homme brisé."
Une fresque immense, peinte entièrement au pinceau, a été réalisée en hommage aux disparus par l'artiste Rouge Hartley sur une résidence liévinoise gérée par Pas-de-Calais Habitat, au cœur du quartier Saint-Amé. Elle sera inaugurée le 27 décembre à 10 heures.
"Rouge Hartley a rencontré les familles de victimes et consulté les archives de Liévin et du musée de la mine de Lewarde, pour s’imprégner de l’histoire. Elle a aussi travaillé avec les élèves de l’école Léo-Lagrange", précise Katy Clément, adjointe à la scolarité.
Le bailleur social, qui tient à "rendre hommage à ces hommes courageux, dont le labeur et le sacrifice ont façonné l’histoire industrielle et humaine de notre territoire", a également donné la parole aux Liévinois dans un ouvrage intitulé Des Vies. 42 mots-clés en mémoire des 42 disparus, du briquet à la solidarité en passant par la coop et la fanfare.
Michel Vandenabeele, lui, y témoigne de la passion de son père pour la colombophilie. "Mon père avait un beau pigeonnier qu'il fallait nettoyer tous les jours. Il était impératif de bien s’occuper des oiseaux, de s’assurer qu’ils aient à boire et à manger. Nous avions aussi d’autres animaux : des lapins et des poules. Comme mon père travaillait à la mine, mes frères et moi étions souvent de corvée pour nous en occuper."
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Les rires d'une enfance joyeuse aux côtés de Paul continuent à résonner dans le cœur de Michel, 50 ans après la catastrophe. "Le souvenir que j'ai de mon père, c'est quand j'étais un peu plus jeune. On jouait avec lui. Comme tous les pères font avec leurs enfants. On montait sur son dos, puis il marchait à quatre pattes sur le carrelage, il faisait le tour de la table. Ça, c’étaient des bons souvenirs. Et puis il y avait surtout les Noëls. Quelquefois, c'était lui qui s'habillait en père Noël, mais nous, on ne le savait pas."
"On n'avait pas grand-chose. Une orange, une brioche, un petit carré de chocolat. On n'était pas fort riches, mais on était heureux." Tout est dit.