Louis Le Franc, préfet du Pas-de-Calais, a été condamné pour avoir mené l'évacuation d'un camp de migrants à Calais, en septembre 2020, en dehors d'un cadre juridique adéquat. Une décision qui satisfait les associations locales.
Le 29 septembre 2020, près de 800 migrants étaient expulsés de la zone du Virval, à Calais. Une opération de démantèlement importante dans le cadre de laquelle le préfet du Pas-de-Calais a été condamné pour s'être affranchi de l'autorité judiciaire. Une décision qui remet en cause le cadre juridique de nombreuses expulsions selon les plaignants.
"Une victoire" pour les plaignants
"C'est une victoire symbolique, a réagi Marguerite Combes, coordinatrice d'Utopia 56, une des associations plaignantes. On espère qu'elle pourra faire jurisprudence, en tout cas elle nous permettra d'aller plus loin dans nos recours juridiques."
Les requérants, 11 exilés et huit associations de défense des migrants - dont le Secours catholique et l'Auberge des migrants - avaient assigné le préfet en décembre 2020. Ils demandaient que soit jugée "illégale" cette évacuation "importante" de migrants.
Le cadre juridique d'expulsions remis en cause
Dans son arrêt du 24 mars, la cour a condamné le préfet pour "voie de fait", lui reprochant d'avoir pris l'initiative de l'expulsion, et temporairement privé de liberté les occupants du site, sans cadre juridique adéquat. "L'Etat fait des choses illégales, et cette condamnation l'a montré publiquement, se satisfait Pierre Roques, coordinateur de l'auberge des migrants. "C'est quelque chose qu'on cherche à démontrer depuis des années", ajoute Marguerite Combes.
Cette décision met à mal l'utilisation récurrente par l'État pour procéder à des expulsions de campements migratoires sur le littoral nord du cadre juridique de la "flagrance" -- applicable lorsqu'un délit est constaté depuis moins de 48 heures -- , selon l'avocate des plaignants, Me Eve Thieffry.
"Le juge confirme que ce que disent les associations depuis des années: que le préfet n'a aucun pouvoir personnel à évacuation des personnes sur le littoral et à déplacement sous la contrainte", a-t-elle commenté. Cela "interdit le process utilisé par la préfecture".
Le préfet a agi de sa propre initiative
Le préfet a assuré avoir agi sur décision du procureur, au lendemain de l'ouverture d'une enquête en "flagrance" sur la présence de 450 tentes.
Le tribunal estime au contraire qu'il a agi de sa propre initiative, s'appuyant sur un tweet du ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin qui disait son "soutien à la Préfecture 62" pour l'opération. Au 30 mars 2022, ce tweet n'apparait plus sur le compte du locataire de la place Beauvau.
Le communiqué préfectoral alors publié indiquait aussi que les tentes étaient installées depuis "plusieurs semaines", tandis que l'importance des moyens mis en oeuvre -- dont 30 bus -- confirmait une organisation en amont. Marguerite Combes, présente sur les lieux lors de cette évacuation, se souvient "une opération monumentale, avec un très très gros dispositif policier."
"Ces éléments viennent contredire l'hypothèse de la découverte de l'infraction la veille" de l'évacuation, a souligné la Cour. Or, "la préfecture du Pas-de-Calais n'a requis aucune autorisation du juge administratif afin de procéder à l'évacuation" comme requis pour une opération hors du cadre de la flagrance.
5.000 euros de dommages demandés
En outre, la préfecture a outrepassé ses prérogatives en privant temporairement de liberté les migrants escortés vers des bus, sous pression de la police, tranche la cour.
La présence de nombreux policiers encerclant les exilés lors de cette évacuation, la plus importante de ce type depuis 2016, était "de nature à constituer une contrainte", relève la cour.
Les requérants ont demandé 5.000 euros de dommages pour chacun des exilés et 1.000 euros par association. Sauf recours de la préfecture, une audience doit trancher le 23 mai de ces dommages.
La préfecture a 15 jours pour contester l'arrêt
En première instance le 6 janvier 2021, le tribunal judiciaire de Boulogne-sur-Mer s'était déclaré incompétent, la préfecture ayant requis la saisine du tribunal administratif. "Les témoignages produits ne permettent pas de conclure à l'emploi de la contrainte durant la phase de mise à l'abri", avait notamment jugé le tribunal.
La préfecture, qui a 15 jours pour contester cet arrêt de la cour d'appel de Douai, dans le Nord, n'a pas "pas de commentaire à apporter à cette décision de justice".