Dans le Pas-de-Calais, un partenariat a été signé pour faciliter la mobilité des femmes victimes de violences conjugales. Des courses gratuites en taxi sont proposées pour accomplir des démarches allant du dépôt de plainte à la mise à l’abri dans l’urgence. Une première en France.
Tout est parti d’une histoire personnelle et d’un constat révoltant. Omar Asebbane, artisan taxi à Harnes et secrétaire de la section départementale de l’union nationale des taxis (UNT) du Pas-de-Calais, a perdu une de ses collègues, victime d’un féminicide. "On s’est alors demandé de quelle manière le taxi pouvait-il être utile dans la chaine d’accompagnement des femmes victimes de violences conjugales", raconte-t-il.
Des questionnements qui trouvent un écho particulier face à la situation dans le Pas-de-Calais, où près de dix femmes déposent plainte chaque jour dans les commissariats du département pour des faits de violences conjugales depuis le début de l'année 2020. Des données sous-évaluées lorsqu’on sait à quel point la prise de parole des victimes est compliquée, sans prendre en compte les difficultés techniques comme la mobilité pour se rendre au commissariat ou à la gendarmerie.
Après plusieurs mois de réflexion, c’est exactement sur ce sujet que les 483 taxis du Pas-de-Calais ont voulu s’engager, auprès de l’État. Un partenariat, signé avec la préfecture, permet depuis le 1er décembre 2020 aux femmes victimes de violence et à leurs enfants d’être véhiculées gratuitement pour accomplir leurs démarches allant du dépôt de plainte à la mise à l’abri en urgence. Une première en France qui pourrait être généralisée.
Pour autant, ce service n’intervient pas dans les situations d’extrême urgence. Dans ces cas-là, les victimes doivent appeler le 17 ou envoyer un SMS au 114.#NeRienLaisserPasser
— Préfet Pas-de-Calais (@Prefet62) November 25, 2020
Louis Le Franc, préfet du #PasDeCalais, a signé ce jour la première convention partenariale entre les services de l’Etat, l’Union Nationale des Taxis et l’Union Départementale des Centres d’information des Droits des Femmes et des familles du #PasDeCalais. pic.twitter.com/SWpcBt3M1v
Pourquoi faire appel aux taxis ?
Virginie Hoffman, déléguée au droit des femmes et à l’égalité dans le Pas-de-Calais, travaille sur le parcours semé d’embuche des femmes victimes de violence depuis plusieurs années dans le département. "Porter plainte, c’est déjà extrêmement difficile, explique-t-elle. Beaucoup de femmes se demandent comment se déplacer pour le faire, c’est tellement difficile. La mobilité, c’est un des facteurs du renoncement."Alors, lorsque la branche départementale de l’union des taxis a souhaité s’engager, elle n’a pas hésité une seule seconde. "C’est un service qui s’adresse à toutes les femmes, peu importe où elles habitent dans le Pas-de-Calais."
Elle poursuit en expliquant, très concrètement, une situation dans laquelle les taxis peuvent désormais être appelés. "Lorsqu’une femme dépose plainte pour violences, les deux premières démarches à accomplir sont soit la réponse à une convocation judiciaire, soit la nécessité d’aller à l’unité médico-judiciaire de Boulogne-sur-Mer pour se faire expertiser. Dans ces deux cas, les trajets peuvent être effectués en taxi."
Comment ça fonctionne ?
Concrètement, un numéro unique a été créé et mis à disposution des prescripteurs comme les policiers, les gendarmes, les associations d’aide aux victimes ou encore le centre hospitalier d’Arras qui a noué un partenariat avec la préfecture pour enregistrer les dépôts de plainte sur place. Sur demande d’une femme victime de violences conjugales, c’est donc ces prescripteurs, et seulement eux, qui peuvent demander la prise en charge de la victime par un taxi en appelant un numéro spécial et confidentiel pour telle ou telle démarche. "Les chauffeurs de taxi n’interviendront pas sur des situations d’urgence, rappelle Virginie Hoffman. Il ne faudrait pas que les victimes imaginent qu’elles puissent appeler un chauffeur de taxi pour partir, ce n’est pas le cas."Ce numéro, traité en priorité, renvoie directement à la plateforme de l’UNT, basée à Marseille, qui s’occupe de prévenir le chauffeur de taxi le plus proche du lieu d’habitation de la victime en lui donnant les informations nécessaires pour assurer une prise en charge optimale.
Parallèlement, "les taxis du Pas-de-Calais sont liés à une application de géolocalisation. Le taxi de la commune où se trouve la victime est appelé en priorité, raconte Omar Asebbane. Ça évite les systèmes radios et ça permet d’être plus réactif."Les #taxis(60 000) couvrent le territoire?? : PDM en volume +80% et dans toutes les régions même #rurales. A travers cette convention dans le #PasdeCalais, la puissance publique peut compter sur cette profession sur la lutte contre les #violencesfaitesauxfemmes.
— Fayçal JELIL ?? (@FaycalJelil) November 25, 2020
? @UntRachid https://t.co/eez4aHk0Wn pic.twitter.com/WhnTxGqJGi
Un service 100% gratuit pour les victimes
Ce dispositif est entièrement gratuit pour les victimes peu importe la durée du trajet, et sans conditions de ressource.Une nécessité pour Virginie Hoffman, qui se souvient d’un exemple : une jeune femme victime de violences sexuelles et habitant dans le Ternois n’avait pas de permis et ne pouvait pas se rendre à l’unité médico-légale de Boulogne-sur-Mer pour se faire expertiser puisqu’elle ne pouvait pas payer le transport. "C’est donc la travailleuse sociale qui avait pris en charge ce déplacement" se rappelle-t-elle. Ce qui n’arrivera plus avec ce service.
"Tout le monde s’y retrouve : la victime est transportée, le taxi rend service et est rémunéré."
Les chauffeurs de taxi devront imprimer une facture qui sera par la suite transmise à une association. La course sera par la suite remboursée aux professionnels grâce aux crédits départementaux alloués aux violences faites aux femmes par l’État. "Tout le monde s’y retrouve : la victime est transportée, le taxi rend service et est rémunéré", résume Omar Asebbane.
Formation continue des taxis
Cette expérimentation, officiellement lancée ce mardi 1er décembre, va constamment évoluer dans les prochains mois. Elle se réévaluée tous les quinze jours pour s’adapter aux remontées du terrain.En parallèle, une formation des chauffeurs de taxis va prochainement être organisée par les services de l’état afin de leur permettre de poser toutes les questions qu’ils souhaitent. "Si la victime demande de faire demi-tour, comment on doit réagir ?" se demande par exemple Omar Asebbane. L’objectif : prendre en charge de la meilleure manière possible les victimes.
Il existe en France des conventions similaires entre des compagnies de taxi et les services de l’état pour venir en aide aux victimes de violences conjugales, mais ces accords se font au cas par cas, de manière très locale et avec certaines associations seulement. L’expérimentation, menée pour la première fois à l’échelle d’un département dans le Pas-de-Calais, pourrait par la suite être généralisée à tout le territoire national.