En Picardie, pour les associations de lutte contre les LGBTphobies, "difficile de faire savoir qu'on existe"

En cette journée mondiale de lutte contre l'homophobie, la biphobie et la transphobie, nous avons donné la parole à plusieurs associations LGBT présentes dans l'Aisne, l'Oise et la Somme. Pour toutes, le principal problème, c'est la visibilité : "on doit se battre pour exister".

Au téléphone, Audrey parle un peu vite pour ma vitesse de frappe sur le clavier. C'est qu'elle en a des choses à dire, Audrey, sur la lutte contre l'homophobie. Audrey est l'une des 5 fondatrices de l'association Les bavardes, basée à Amiens. Les bavardes, c'est un collectif féministe et lesbien qui lutte contre toutes les formes de discriminations faites aux femmes créé en 2017.


Pas de local, pas visible

"Un témoignage de personne LGBT discriminée ? C'est pas qu'on veut, mais honnêtement, on en a un peu marre de passer pour des victimes, répond du tac au tac la jeune femme. On préfère porter un message collectif." D'accord. Mais avant, les questions d'usage : qui ? quand ? comment ? où ? "Où ? répète Audrey, de l'ironie dans la voix. Ah ben c'est bien ça le problème pour les assos LBGT en Picardie ! On n'a pas de local !" 

L'association existe à Amiens depuis 3 ans et revendique 25 bénévoles, 40 membres, une centaine d'habitués. Et depuis trois ans, "c'est du bricolage. Avant, à Amiens, il y avait une maison de l'égalité. Mais elle a été fermée. Et on n'a pas d'espace pour se retrouver et pour tenir des permanences, explique Audrey. On n'a pas beaucoup de financements. Donc, difficile pour nous de louer quelque chose. On aimerait avoir un local prêté par la mairie comme c'est le cas pour d'autres associations. En attendant, on organise nos groupes de paroles et nos autres actions dans des bars ou chez les bénévoles. Parfois, une association amie nous prête ses locaux".


Pas la priorité

Dans de telles conditions, pas simple pour Les bavardes de faire savoir qu'elles existent. Un manque de visibilité accentué par le confinement : "on n'a plus que les réseaux sociaux pour continuer à être présentes et surtout pour avoir accès aux femmes qui ont besoin d'aide et de soutien, déplore Audrey. On va lancer une campagne de soutien financier et psychologique en direction des femmes fragilisées et précarisées par le confinement. On a reçu un financement de la Lig, le Fonds de dotation Lesbiennes d'Intérêt Général, pour mener cette action. Mais on fait comment si on n'a pas de point fixe pour nous trouver facilement ?"
 "On sent clairement que les associations LBGT ne font pas partie des priorités des élus, assène Audrey. Par exemple, en 2019, on a organisé la première marche des fiertés à Amiens. 2500 personnes y ont participé. On n'a pas eu un seul euro de subvention." Et de conclure, "on a l'impression de devoir se battre pour exister alors que ça relève plus du droit."


Difficile de se structurer

Une situation que confirme Olivier Franqueville. Ancien président de l'association Flash our true colors à Amiens, il a quitté la capitale picarde il y a 5 ans, avant l'arrivée de la municipalité actuellement en place : "je ne peux pas vous dire comment ça se passe depuis 5 ans à Amiens mais sous l'ancienne équipe municipale, je me souviens qu'on avait des locaux prêtés par la mairie. Mais ce n'était jamais un local fixe. On n'était jamais au même endroit c'était difficile pour se structurer"

Parti à Compiègne dans l'Oise, Olivier Franqueville crée une autre association de lutte contre les LGBTphobies, Clin D'Oeil LGBTqi+. Son association intervient dans tout le département. Et le constat est le même : difficile donc d'être visible en Picardie. Et toujours pour les mêmes raisons : "on a fait des demandes de local à la mairie mais pour l'instant on n'a aucune réponse, explique Olivier Franqueville. Nous, on ne peut payer que les frais annexes. On ne peut pas se permettre de payer un loyer. Mais je me dis que si c'est possible pour des associations sportives, ça doit l'être pour des associations de droit commun."


Juste un numéro de téléphone

La seule vitrine de Clin D'Oeil LGBTqi+ est virtuelle : un numéro de téléphone, un site internet et des comptes de réseaux sociaux. "C'est difficile d'être visible en tant que structure de soutien quand on n'a juste un numéro de téléphone à donner, se désole le militant associatif. On a beau être très actifs sur les réseaux sociaux, sans local, on est difficilement identifiables." Et de donner en exemple le cas d'un mineur de 15 ans : "la troisième semaine du confinement, ce gamin a fugué de chez ses parents parce que ses relations avec eux devenaient invivables. Il nous a appelés mais sans adresse à lui donner, on a du mal à le localiser. Si on avait eu un local, on aurait pu gérer la situation plus facilement et le prendre en charge directement. Résultat : on a du faire appel aux services sociaux pour le mettre en sécurité." En Picardie, il n'existe pas de structure comme Le refuge. Les foyers de cette association d'accueil les plus proches sont à Lille, Rouen, Le Havre et Paris.

Pour lui, c'est un peu le cercle sans fin : "si les associations LGBT manquent de visibilité auprès des institutions, ça vient du fait qu'on ne les voit pas mais aussi du fait que les institutions ne les regardent pas. Et elles ne nous regardent pas parce qu'elles ne nous voient pas."


Encore un sujet politique tabou

Franck Allié est moins catégorique. Même s'il reconnaît que "les LGBT, c'est encore un sujet tabou pour les politiques." Locaux comme nationaux.
 Mais pour le codélégué pour la Picardie de SOS homophobie à Amiens, ça commence à bouger du côté des élus locaux : "l'année dernière, pour la marche des fiertés organisée à Amiens, on a eu un soutien de la mairie certes pas à la hauteur de ce qu'on espérait mais on a eu du soutien, reconnaît-il. Pour cette année, on voulait en plus faire un village associatif et la mairie nous a écoutés. On commence à avoir des réponses favorables à nos demandes. Mais il faut qu'on demande. Ils ne viennent pas nous chercher. Par exemple : Amiens, capitale 2020 de la jeunesse ? Ok mais et la jeunesse LGBT dans tout ça ? Alors que c'est un public important pour les associations de lutte contre les discriminations homophobes."

Et sur les 8 associations LGBT sur Amiens, à part Aides, aucune n'a de local.


Des portes qui s'ouvrent

"Mais j'ai l'impression que les portes commencent à s'ouvrir un peu plus. Après je ne dis pas que les portes, il ne faut pas les enfoncer de temps en temps, ironise Franck Allié. Mais vous voyez, la maison de la culture nous ouvre toujours les bras à chaque fois qu'on veut faire quelque chose. Ce qui nous manque, comme ça existe dans d'autres villes, c'est l'appui clair d'élus. Une ville n'a pas besoin d'être poussée par des associations pour montrer qu'elle est inclusive : combien de villes, lors de la marche des fiertés, accrochent d'elles-mêmes des drapeaux LGBT à l'hôtel de ville ? Ou ont fait des passages piétons arc-en-ciel ?"

Et dans l'Aisne ?  À part l'antenne de SOS homophobie à Saint Quentin, il n'y a aucune association LGBT : "il y en a eu une à Saint-Quentin mais les mecs ont déménagé sur Lille, raconte Olivier Franqueville. Je suis en relation avec des gens de Soissons qui veulent créer une association. Il y a des besoins.  À Clin d'oeil, on n'a pas mal de personnes qui viennent de l'Aisne pour évoquer des discriminations et casser leur isolement social. Mais l'Aisne, pour nous, c'est un gros souci. Les associations ne sont pas invisibles là-bas : elles n'existent carrément pas". 

En 2019, les injures et agressions homophobes ou transphobes ont augmenté de 36%  selon le gouvernement en France. Egalement pour l'an passé, SOS Homophobie annonce une hausse de 26% du nombre de témoignages personnes LGBT ayant subi une discrimination.

Une application a également été lancée fin avril par FLAG!, l'association de policiers et gendarmes LGBT, afin de signaler des actes de violence et mieux orienter les victimes :
 Un projet marrainé par Marlène Schiappa, Secrétaire d'Etat auprès du Premier ministre chargée de l'Egalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations. "On attend de voir ce qu'elle va faire", conclut Olivier Franqueville.
 
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