"Je ressens le refus de lâcher prise" : socio-esthéticienne, les soins du corps et de l'esprit contre les maux du Covid

Laetitia et Sylvie sont socio-esthéticiennes en Picardie. Elles pratiquent des soins esthétiques et du soutien psychique et émotionnel. Massages, soins du corps et de l'esprit : un retour vers le bien-être très demandé depuis le début de l'épidémie de Covid-19.

Depuis le début de la crise sanitaire, les journées de Laëtitia sont bien remplies et ses clients très variés. Depuis 2019, année de création de son entreprise, elle intervient dans les Ehpad, auprès de personnes en situation de handicap mais également auprès de jeunes hébergés dans des foyers. Les séances sont uniquement dédiées à la recherche du bien-être, par les massages du corps, le maquillage, l'épilation et une approche psychique au travers de l'écoute active et des conseils esthétiques.

"Les personnes malades ou non ont été isolées trop longtemps"

Mais depuis quelques mois, Laëtitia a observé une augmentation de 60% des demandes de soin. "Les structures avec lesquelles je travaille m'ont beaucoup sollicitée dernièrement. Je constate que la situation actuelle pèse énormément sur le moral des personnes que je rencontre. Beaucoup se laissent aller et ne prennent plus soin d'elles. Les besoins de soutien psychologique et physique sont croissants. Les personnes malades ou non ont été isolées trop longtemps, sans contact pour certaines, sans activité physique. L'image de soi est, de fait, dévalorisée", explique Laëtitia Rieutord, gérante de L'estime de soi.

"Dans ma tête, c'est Bagdad"

Selon elle, les jeunes ont été particulièrement touchés par ces difficultés. "Lors d'un de mes déplacements dans un Epide (établissement pour l'insertion dans l'emploi), une éducatrice a insisté pour que je vois une jeune fille qui n'était pas prévue dans mes rendez-vous. Dès le début de la séance, elle m'a dit : « dans ma tête, c'est Bagdad ». Elle avait besoin de s'évader du foyer et ne penser à rien. Après le massage, elle avait un grand sourire."Lâcher prise, se déconnecter, trouver un ailleurs rassurant par la main et l'écoute d'une autre personne.

Ces soins s'adressent à tous et le public se diversifie en ces temps difficiles. Les clients de Laëtitia sont aussi des particuliers, des salariés en télétravail qui n'ont plus de vie sociale. "20% de ma clientèle est constituée de particuliers qui me contactent car ils ne reconnaissent plus leur vie. Leur moral est fortement altéré. Ils n'ont plus envie de se coiffer, de s'habiller, de se maquiller. Ils font les choses parce qu'il faut les faire. Je leur propose des soins détente et des conseils pour reconstruire son amour-propre. Ce sont des conseils de relooking, de maquillage. Et puis je m'adapte à chaque situation. Les soins peuvent se faire dans le silence ou dans l'échange. Cela dépend des souhaits de mon client."

D'après Laëtitia, tous portent un poids. C'est au travers de ses massages qu'elle mesure l'étendue des dégâts. "Chez la plupart de mes clients, la pression est très forte au niveau des épaules et je ressens le refus de lâcher prise. C'est là que j'interviens".

Le massage comme action de reconstruction pour retrouver un bien-être

Ce constat est partagé par de nombreux professionnels paramédicaux. Sylvie Grimaux, socio-esthéticienne dans l'Oise, intervient elle aussi auprès des personnes âgées mais également de leurs soignants. Dès la fin du premier confinement en mai 2020, alors que les hôpitaux et autres maisons de santé sortaient petit à petit la tête de l'eau, les soignants et personnels, eux, demeuraient dans un état de sidération. "J'ai suivi des soignants épuisés psychiquement. À la fin de la première vague de l'épidémie, certains ont été pointés du doigt. Plusieurs m'ont confié leur incompréhension. Ils ne comprenaient pas pourquoi ils avaient été applaudis puis si vite rejetés. Ils avaient la sensation de porter le Covid", raconte Sylvie Grimaux, gérante de Au cœur des soins.

L'épuisement est caractérisé par une perte d'énergie. Certains massages comme celui du crâne, des méthodes comme le shiatsu ou les massages japonais permettent de rétablir l'équilibre émotionnel et d'entamer une reconstruction. "Après chaque séance qui dure une heure, j'ai vu des larmes. Certaines avaient besoin de me serrer dans leurs bras. Elles avaient vraiment besoin d'aide et de reconnaissance. Elles ont été dévouées corps et âme et pour prendre soin de l'autre, il faut prendre soin de soi", confie Sylvie.

Stéphanie, animatrice dans une résidence médicalisée pour personnes âgées de l'Oise a pu bénéficier de ces soins, commandés par la direction de son établissement. Lors des confinements, elle a dû pallier l'absence de visite des familles et des intervenants extérieurs. "Je devais être à l'affût des besoins des résidents. On se donnait à 200%", explique-t-elle. Mais après quelques semaines, le revers de la médaille c'est l'épuisement. "J'avais besoin de moments de détente et de lâcher prise. Sylvie m'a mise en confiance et nous avons échangé sur mon état émotionnel. Elle m'a donné de nombreux conseils sur les huiles essentielles que je peux utiliser pour me détendre. Et cela m'a donné des idées à mettre en pratique sur les résidents de l'Ehpad. Je suis sortie reboostée et pleine d'énergie de ces massages", ajoute-t-elle.

La socio-esthétique : une pratique encore méconnue

Depuis 2008 et la création d'écoles spécialisées en France, la socio-esthétique est reconnue par le ministère de la Santé comme un métier à part entière. Cette discipline prend en compte les personnes de manière pluri-objective : accompagnement corporel de la souffrance, de la douleur, à la reconstitution de l’image de soi mais aussi à la resocialisation des personnes.

Longtemps réservée au milieu hospitalier et notamment aux soins de suite de personnes atteintes du cancer, la socio-esthétique est désormais pratiquée en maison pour enfants, en milieu carcéral, en foyers d'accueil d'urgence, en maison de retraite et pour tout public.

Malgré la reconnaissance de cette pratique par les professionnels de santé, les socio-esthéticiennes peinent à faire reconnaître leur métier auprès de la sécurité sociale. "On voit bien que les structures qui font appel à nous ont de plus en plus besoin de soulager leurs clients et usagers en cette période anxiogène. Ils cherchent le budget où ils peuvent pour financer les séances. Et pour les personnes fragilisées souvent sans ressource, c'est impossible de payer les séances. Notre spécialité est méconnue et pourtant très utile. Mais la sécurité sociale refuse toujours de rembourser ces soins", regrette Laëtitia Rieutord.

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