À l’heure où les manifestations contre le racisme se multiplient à travers la France, Amiens a vu naître le tout nouveau collectif « Jeunes et Racisés », fondé par des étudiantes pour organiser leur lutte anti-raciste.
Tout est parti d’une envie d’agir, d’un sentiment d’impuissance insupportable. Célia Fontaine est sensible à la cause anti-raciste depuis longtemps, mais relayer les informations et ses convictions sur réseaux sociaux ne lui suffisait plus.
L'affaire George Floyd et la mobilisation autour de l'affaire Adama Traoré ont agi comme un déclic. "J’ai vu qu’il y avait une manifestation par des associations de travailleurs et des étudiants à Amiens. Le geste est louable mais je me suis dit que c’était vraiment dommage que ce ne soit pas les gens concernés qui l’organisent", explique la jeune femme. "Ces associations ont tendance à lutter contre le racisme seulement le jour de leur manif. Mais nous, on le vit tous les jours, le racisme."
Des réseaux à la rue
Elle décide donc d’organiser à son tour un rassemblement, trois jours plus tard. Pour déclarer ce type de manifestation, il faut être au moins trois. Elle en parle à ses copines qui rejoignent tout de suite l’aventure. Parmi lesquelles Jeanelle Rismi, étudiante en deuxième année de droit à l’UPJV : "C’était notre tout premier rassemblement, nous n’avions jamais fait de manifestation. On partageait sur les réseaux sociaux mais on n’avait jamais fait quelque chose d’aussi concret. On a vu que beaucoup de gens le faisaient, et on s’est dit pourquoi pas nous ?"
Au contact de militants associatifs, elles ont l’idée d’aller un peu plus loin et de s’organiser en collectif. Elles se donnent un nom, "Jeunes et racisés", qui part du constat qu’autour de la table, les fondatrices sont toutes jeunes, et racisées. "Mais nous ne sommes pas fermées, c'est ouvert à tous", précise Jeanelle. Elles créent ensuite un logo, des comptes Facebook et Instagram, des flyers pour le rassemblement… et le 9 juin, quelques 200 personnes se rallient à leur appel et les rejoignent devant le palais de justice amiénois.
"J’avais pas les mots !", admet Jeanelle. "Je me suis dit, on n’est personne, on est juste des étudiants, on n’est pas la Licra. On n’avait pas de contact, on ne connaissait personne, mais les gens sont venus. Le fait d’avoir une identité de groupe, c’était vraiment la meilleure chose à faire."
Le collectif commence alors à se faire connaître. "On a rapidement été contactés par des jeunes, on ne s’y attendait pas forcément. On a eu beaucoup de messages de remerciements, de gens qui nous ont dit qu’ils avaient appris des choses. On avait un poète, une chanteuse, c’était pas une marche mais réellement un rassemblement, avec des échanges."
La pédagogie comme crédo
Et Célia entend bien faire perdurer ces échanges. "C’est parti du rassemblement, mais on s’est rapidement dit que le collectif pourrait servir à d’autres choses", explique la jeune femme de 19 ans qui vient de terminer son DUT en génie civile et compte partir à l’étranger d’ici peu pour perfectionner son anglais. Mais pas besoin d’être en permanence à Amiens pour continuer d’agir. "On veut informer et changer les mentalités, en visant les jeunes. L’idée, c’est de devenir un média par les jeunes et pour les jeunes, via les réseaux sociaux. Le militantisme de terrain se fera dans un second temps."
Et elle a déjà plein d’idées. "Notre devise, c’est "un homme conscient est un homme qui change". On veut accompagner les racisés dans leur quête identitaire. On leur parlera par exemple des grands scientifiques racisés, afin de leur donner des "rôle modèles". Il faut que les racisés puissent se dire : "Même si je ne suis pas beaucoup représenté à la télé, je peux devenir ce que j’ai envie d’être, je suis tout aussi apte à réaliser de grandes choses, même si on m’en donne moins la chance". Ensuite, on expliquera aussi des phénomènes sociaux et des concepts comme le privilège blanc."
Elle qui avait déjà pour projet d’écrire un livre sur le sujet, elle compte sur le caractère ludique et pédagogiques des actions à mener. "On souhaite aussi que la majorité des intervenants du collectif soit racisés, mais bien sûr le collectif est ouvert à tous, et si une personne blanche à quelque chose de bon à apporter ou à nous apprendre, elle sera la bienvenue. On ne veut pas faire ce qu’on méprise."