Témoignage. La fausse couche, une épreuve compliquée dans la vie : "J'avais honte d'avoir échoué dans ma mission de femme"

Publié le Mis à jour le Écrit par Christelle Juteau

Les fausses couches sont mal connues dans notre société. Pourquoi en avoir fait collectivement un tabou, une expérience à passer sous silence ?

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En France, une chape de plomb s'abat sur les femmes victimes de fausse couche. Tout d'abord, il est préconisé de ne pas annoncer sa grossesse avant trois mois. Selon la psychologue amiénoise, Margot Duvauchelle, "ce silence complexé est pourtant devenu presque rituel, symbolique, [ne rien dire avant que le premier trimestre ne soit passé, ndlr], contribuant à isoler ces couples, ces femmes, face à cette perte qui peut être traumatique."

Un échec pour une femme

On parle de fausse couche quand l’arrêt spontané de grossesse arrive avant la 22e semaine d’aménorrhée (soit environ cinq mois). La majorité des arrêts se passe avant le troisième mois, c'est pour cela qu’il est commun d’entendre cette injonction : "Il vaut mieux annoncer la nouvelle seulement après l’échographie du 3e mois".

Le problème, c’est que quand cela arrive à un mois, deux mois, la femme se retrouve seule à digérer la nouvelle avec son conjoint. Les femmes tentent de garder le sourire en public, en famille et dans leur entreprise, même si c’est dur à vivre psychologiquement et physiquement.

Amélie, Picarde, raconte son expérience douloureuse : "Pendant des jours et des jours, je n'ai rien dit sauf à mon conjoint. Un week-end, chez mes parents durant lequel je saignais, je pleurais la nuit en essayant d'étouffer mes sanglots pour ne pas que mes parents m'entendent. Je ne voulais pas que cela se sache. J'avais honte d'avoir échoué dans ma mission de femme."

Lorsque l’embryon se désagrège sous forme de saignements, il y a des douleurs qui peuvent ressembler à des contractions comme lors d’un accouchement. Et dans le cas où l’embryon ne part pas tout seul, la femme doit subir une anesthésie pour aspirer l’embryon. L’épreuve est encore plus dure sans soutien d’un proche. Amélie raconte sa seconde fausse-couche : "Cette fois-ci, j'ai encore gardé le secret le plus longtemps possible. Ma mère m'a appelée pour prendre des nouvelles. Il a suffi qu'elle me demande si j'allais bien pour que je déballe tout mon chagrin."

"Banal mais pas moins traumatisant"

Alors qu'une femme sur quatre vit un arrêt spontané de grossesse au cours de sa vie, le sujet reste peu abordé et banalisé. "La portée traumatique est bien souvent minimisée, probablement en partie par l'occurrence fréquente de ces événements. Fréquents, mais pas moins traumatisants" explique la psychologue amiénoise. Les femmes s’imaginent être responsables. "Elles se demandent si leur alimentation, leur hygiène de vie, leur pratique sportive peuvent en être la cause alors qu’en fait, 90 % des arrêts spontanés sont liés à un problème génétique." explique le gynécologue picard à la retraite François Boyer de la Tour.

L’entourage n’est tellement pas habitué à entendre : "Je fais une fausse couche" qu’il minimise souvent la situation. "Ce n’est rien, dis-toi que c’est une bonne nouvelle, cela veut dire que cela marche..." Judith Aquien, autrice du livre Trois mois sous silence, conseille de ne pas "imposer à la personne d’aller de l’avant". À ce moment, un geste d’affection et une phrase comme "Je suis là pour toi" suffisent à apaiser la peine.

La formule "fausse couche" est mal adaptée, explique Judith Aquien, car "Tout est vrai dans une fausse couche. Dit-on à des personnes récemment endeuillées que la mort est banale pour les consoler sous prétexte qu’elle touche 100 % de l’humanité ?"

Une prise en charge à revoir

Judith Aquien a écrit son livre durant sa grossesse après avoir vécu une fausse couche. Selon elle, beaucoup de médecins n'expliquent pas les raisons de cette fausse couche à la patiente qui repart du cabinet seule avec toutes ses questions. Son livre dénonce "la non-prise en charge - RH, médicale, psychologique - des femmes pendant ce tiers de leur grossesse, à la faveur de l'injonction à ne pas en parler." De plus, selon Judith Aquien, les douleurs abdominales, les nausées, l'état parfois dépressif, l'extrême fatigue, la peur de la fausse couche sont le lot quotidien des futures mamans.

Ces difficultés vécues par les femmes durant plusieurs semaines, au premier trimestre, sont minimisées par certains médecins qui les considèrent comme "les petits bobos de la grossesse". La prise en charge médicale est critiquée par l’autrice. "Les médecins ne pensent pas à prescrire un arrêt maladie lors du diagnostic d'une fausse couche, car pour eux, c’est comme des grosses règles."

Le gynécologue picard François Boyer de la Tour renvoie au problème de la déshumanisation des rapports gynécologue/patientes : "Lorsque les patientes se retrouvent aux urgences et que le médecin de garde confirme la fausse couche, il n'a pas le temps de s'occuper du côté psychologique. La patiente est un numéro parmi tous les autres patients potentiellement en grave difficulté médicale. Avant, chaque femme avait un gynécologue libéral attitré qu'elle appelait en cas d'urgence. Ce dernier la prenait entre deux rendez-vous. Je pense aussi que la prescription d'un arrêt maladie doit se faire au cas par cas. Il y a des patientes qui n'en veulent pas, considérant que les symptômes seront faciles à gérer."

Le conjoint en deuil aussi

Suite à la parution de son livre, Judith Aquien a lancé le Parental Challenge. Une charte parentale destinée aux entreprises. Si elles l'acceptent, l’entreprise s’engage à respecter 12 commandements, dont le congé fausse couche pour la mère biologique et le second parent. "C’est important que le conjoint puisse aussi se mettre en congé pour soutenir sa femme et faire son deuil également s’il en ressent le besoin", insiste Judith Aquien.

Exemples de points à respecter :

  • Cinq jours de congés enfants malades rémunérés ;
  • Outiller les managers à mieux accueillir la parentalité et les sensibiliser aux discriminations ;
  • Organiser le temps de travail pour les salariés qui ont un rendez-vous pour un parcours d’adoption ;
  • Mettre en place des horaires de travail qui n’excluent aucun des salariés.

Une centaine d’entreprises a accepté de signer la charte "Parental Challenge" en France dont deux dans les Hauts-de France comme l’entreprise Jeanbouteille à Lille.

durée de la vidéo : 00h13mn00s
Hauts féminin : les fausses couches ©FTV

Pour voir ou revoir l’émission Haut féminin du jeudi 17 novembre consacrée au tabou des fausses couches avec notre invitée Judith Aquien, autrice du livre "Trois mois sous silence", cliquez sur la vidéo ci-dessus.

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