Depuis janvier 2024, l'arrêt maladie "interruption spontanée de grossesse" (ou fausse couche) est officialisé. Les salariées vont conserver leur salaire dès le premier jour de leur arrêt maladie. Les associations de défense des droits des femmes pointent du doigt un problème dans la mise en place de cette avancée : le secret médical n'est pas protégé. Explications.
Depuis le premier janvier 2024, votre médecin peut vous prescrire un arrêt maladie "fausse couche" qui est indemnisé dès le premier jour, sans délai de carence. C'est un cas unique en France car pour toutes les autres maladies, l'indemnisation est à partir de trois jours. L'employeur sera donc automatiquement informé que vous êtes en arrêt à cause d'une fausse couche, d'autant plus qu'il sera indemnisé par l'assurance maladie. Votre salaire sera conservé.
Une information personelle rendue publique
Une petite note en bas de page sur le site Ameli est apparue le 4 janvier dernier mettant le feu aux poudres.
"Si vous souhaitez éviter que votre employeur puisse avoir connaissance du motif médical de votre arrêt, vous pouvez demander à votre médecin de vous prescrire un arrêt de travail pour maladie dans les conditions de droit commun, il sera alors indemnisé avec application du délai de carence."
Marie (le prénom a été modifié) a été discriminée au travail à cause de sa fausse couche qu’elle a eu l’honnêteté de déclarer à son employeur. Suite à son arrêt maladie classique délivré par son gynécologue il y a deux ans, il lui aurait dit : "Cela ne va pas être possible une future grossesse dans notre structure car c'est trop long de former un remplaçant."
Pascal Fradcourt, président des petites et moyennes entreprises de la Somme trouve l’attitude de cet employeur inadmissible et s’étonne de son argument monétaire. " L'assurance maladie prend tout en charge quand une salariée est en congé maternité. Le surcoût pour la remplacer avec un CDD est de 10 % du salaire dû à la fin du contrat.
Une entreprise qui fonctionne doit pouvoir absorber cela sans problème.
Pascal Fradcourt, président des petites et moyennes entreprises de la Somme
Pascal Fradcourt se veut rassurant et pense que ce genre d’attitude d’un employeur est une minorité mais ce n’est pas le ressenti de Lucie Houlbrèque, militante au Planning familial de la Somme. Pour elle, il est primordial de conserver le secret médical dans l’application de cet arrêt maladie "fausse couche". " L'employeur va savoir que l'on a au moins eu le projet d'avoir des enfants. On le sait que les femmes qui ont juste le projet d'avoir des enfants sont fragilisées. Encore de nombreux employeurs demandent à la candidate lors d'un entretien d'embauche si elle a le projet d'avoir des enfants. Combien de femmes enceintes ne voient pas leur contrat être renouvelé alors qu'elles ont donné une totale satisfaction."
>>> Ecouter le podcast, la conversation d'Hauts-Féminin, ci-dessous.
La loi interdit toute discrimination liée à une grossesse
Sur le site du défenseur des droits de La République Française, la loi interdit toute discrimination autour de la grossesse d'une salariée.
"Il est interdit pour un employeur de discriminer sur la base d’une potentielle future grossesse. Par exemple, il est interdit de refuser d’embaucher une femme car elle est considérée comme étant en âge d’avoir des enfants."
200 000 femmes par an
Les fausses couches concernent encore une grossesse sur quatre, soit 200 mille femmes par an, selon le Collège national des gynécologues et obstétriciens Français. Et pourtant, les fausses couches sont encore taboues à tel point que les concernées vont souvent au travail presque comme si de rien n’était, en supportant en silence les douleurs liées aux saignements.
Cet arrêt maladie "fausse couche" va permettre à toutes ces femmes d'être indemnisées dès le premier jour. Judith Aquien, autrice du livre " Trois mois sous silence" aux éditions Payot était sur le point d'afficher sa joie sur les réseaux sociaux lorsqu'elle a découvert la note sur le site Ameli expliquant que si une salariée ne souhaite pas que son employeur soit au courant de sa fausse couche, il est préférable qu'elle demande un arrêt maladie classique avec trois jours de carence. " C'est gravissime car beaucoup de monde ne va pas être courant des conditions dans lesquelles s'applique cette levée de carence au prix du secret médical !"
Pour l'heure, la direction de la sécurité sociale au ministère de la santé n'a pas répondu à nos sollicitations au sujet de cette indemnisation à l'employeur.
Pascal Fradcourt, président des petites et moyennes entreprises prend la défense de la direction de la sécurité sociale en expliquant l’intérêt de cette indemnisation à l’employeur : " C'est quelque chose de fréquent. La majorité des employeurs continuent de verser les salaires à des personnes qui sont en arrêt et se font rembourser par l'assurance maladie. Cela évite de pénaliser le salarié qui peut attendre des semaines que l'assurance maladie traite son dossier. C'est un avantage, je trouve pour le porte-monnaie des salariées et même si l'employeur est au courant de la fausse couche de la concernée, cela ne me choque pas car elle allait forcément lui dire à un moment qu'elle était enceinte. "
Je trouve cela hallucinant étant donné le danger que cela représente pour la salariée !
Judith Aquien, autrice du livre "Trois mois sous silence" Les Editions Payot
Même si Judith Aquien reconnaît que l'indemnisation à l'employeur peut être une bonne chose, cela ne veut pas dire que l'on doit accepter qu'il soit au courant du motif de l'arrêt maladie de sa salariée : "Je trouve cela hallucinant étant donné le danger que cela représente pour la salariée. J'ai participé à tous les travaux parlementaires, j'ai été auditionnée au Sénat, nos interlocuteurs nous posaient des questions sur la manière dont il fallait organiser tout cela, il n'y a pas un moment où on a dit que c'était une bonne idée que l'employeur soit au courant du motif ! C'est vraiment un dénouement qui est grave. "