Albert (Somme) est devenue la première commune samarienne ambassadrice du don d'organes. Une initiative importante à l'heure où les chiffres de refus continuent d'augmenter, et appréciée, notamment par Patrick Lacaille, habitant et bénéficiaire d'une greffe du cœur en 2015.
"Il y a eu une vie avant et une vie après". Le 26 février 2015, la vie de Patrick Lacaille a changé : cet Albertin qui fêtera ses 74 ans le 30 avril a reçu une greffe du cœur. "En 1996, j'ai fait un infarctus du myocarde et ça a été stabilisé pendant quelques années. J'ai bénéficié de trois défibrillateurs implantables", raconte-t-il.
Malheureusement, son cœur s'est dégradé et le quatrième implant n'a pas eu les résultats escomptés. "Je gonflais un peu partout du fait du dysfonctionnement cardiaque". Il a été hospitalisé deux mois au CHU d'Amiens et, son état ne s'améliorant pas, a été héliporté à la Pitié-Salpêtrière, à Paris.
"Au bout de 12 jours, j'ai fait un arrêt cardiorespiratoire, ils m'ont réanimé et quelques jours après, j'ai été mis sous ECMO (oxygénation par membrane extracorporelle) ". Il a finalement eu la chance de recevoir un greffon. "À partir de ce moment-là, tout est rentré dans l'ordre, malgré quelques complications". À la suite de cette greffe, il est resté hospitalisé pendant six mois.
7 km par jour et un traitement à vie
Aujourd'hui, Patrick Lacaille marche 7 kilomètres par jour et vit même très bien grâce à un traitement qu'il doit suivre tous les jours, matin et soir. "C'est une habitude, confie-t-il. Il y a cinq comprimés le matin et deux le soir. Ce sont des automatismes". Quant aux antirejets, "j'ai une alarme sur mon téléphone qui me permet de ne surtout pas les oublier et de respecter les horaires". En effet, les horaires sont cruciaux, notamment lorsqu'il s'agit de contrôle de dosage.
L'homme souligne l'importance de suivre avec un "sérieux obligatoire" la prise de médicaments pour conserver "ce petit bijou qu'on a par la force des choses, et ne serait-ce aussi que pour respecter toute la chaîne médicale : les médecins, soignants et aides-soignants qui m'ont entouré et qui me suivent encore maintenant".
C’était très compliqué d'être en attente du greffon. Le plus dur, c’est quand vous êtes mis en circulation extra-corporelle. J’ai toujours un bout de plastique dans l’aine, ça ne se voit pas. Vous avez une ligne de vie, votre sang sort de ce tube et va être regénéré par un système. On vivote comme ça en attendant d’avoir un greffon.
Patrick Lacaille, bénéficiaire d'une greffe du cœur
Au final, Patrick Lacaille qualifie cette greffe de "miracle", d'autant plus qu'il ne vivait "pas bien" depuis son infarctus en 1996. "Maintenant, j'ai l'impression de revivre en étant plus jeune. Je pense très souvent, voire tous les jours, au donneur anonyme, déclare-t-il en posant la main sur le cœur. Il est là, quelquefois, quand j'ai une baisse de motivation, je lui parle et je dis : allez, on y va. Peut-être que peut paraître excessif, mais je fonctionne comme ça".
Albert, ambassadrice du don d'organes
Ce samedi 13 avril 2024, la municipalité a inauguré 7 panneaux aux entrées de la ville. Ceux-ci déclarent Albert comme "ville ambassadrice du don d'organes". Patrick Lacaille a voulu le voir de ses propres yeux. Ce label, accompagné d'un ruban vert distinctif, a été créé par des associations œuvrant pour la greffe d'organes.
Tout a commencé lors d'une rencontre entre Alain Degardin, adjoint chargé au sport et Antoine Sénéchal, ambassadeur du don d'organes, lors d'un forum des sports. L'élu a ensuite proposé au conseil municipal de faire d'Albert la première ville de la Somme ambassadrice de cette cause. "L'équipe municipale a adhéré à l'unanimité, sans temps de latence. C'est vraiment quelque chose qui nous tenait à cœur", affirme Maxime Lajeunesse, maire (SE) d'Albert.
"On veut communiquer grâce à ces panneaux, on veut que les communes s'engagent vraiment dans un processus et dans un plan d'action pour informer leur population sur cette cause et qu'en fin de compte, tout le monde puisse connaître les grandes lignes du don d'organes", renchérit Antoine Sénéchal, membre de l'association Cardio-Greffes, lui aussi greffé du cœur à 17 ans.
Aujourd'hui, on pense que c’est un sujet qu’il faut démocratiser, il faut s’ouvrir, il faut ouvrir la parole sur ce sujet pour qu’on prenne conscience que cela peut sauver des vies.
Maxime Lajeunesse, maire (SE) d'Albert
Au-delà des panneaux, Antoine Sénéchal imagine d'autres actions pour sensibiliser à la question. Par exemple, illuminer certains monuments en vert lors de la journée mondiale du don d'organes, le 17 octobre, ou pendant la journée nationale du 22 juin. Pourquoi pas également distribuer des rubans verts dans les commerces, faire de la sensibilisation dans les écoles ou organiser "une conférence, une réunion publique ou diffuser un ciné-débat".
Le champ d'action ne s'arrête donc pas et plusieurs communes font même la démarche de créer des événements spécifiques en fonction de leurs moyens et leurs possibilités. "On a une commune qui va faire un lancer de ballons verts avec le message officiel, et l'idée c'est que la personne qui récupère ce ballon puisse le connaître", détaille Antoine Sénéchal.
Créer des discussions
Antoine Sénéchal, Maxime Lajeunesse et Patrick Lacaille souhaitent qu'un plus grand nombre de Françaises et Français soient au fait du don d'organes. Évidemment, Antoine est bien conscient qu'il n'arrivera jamais à sensibiliser tout le monde. "Mais on se dit que s'il y en a un qui en a entendu parler, il va en parler à ses proches, son entourage et ça peut faire boule de neige".
L'information est cruciale car, jusqu'à maintenant, les discussions autour de ce sujet sont beaucoup trop rares et les idées reçues vont bon train. "C'est très important, souligne Patrick. Maintenant encore, des gens me posent des questions concernant les différents stades par lesquels je suis passé, on se rend compte que ça bloque un peu. Les gens pensent savoir mais finalement, ils ne savent pas grand-chose".
Parmi les erreurs fréquentes, celle qui revient souvent consiste à parler de la greffe comme d'un "moteur neuf", une expression qu'il trouve déplacée. "Il ne faut pas oublier qu'il y a un être humain derrière. Si je suis là aujourd'hui, c'est grâce à un donneur, et par respect pour cette personne-là et pour toute la chaîne médicale, je refuse qu'on traite mon cœur comme un moteur".
On a vraiment axé cette diffusion d’information sur nos panneaux d’entrée de ville. Quand les habitants entrent et sortent, ils s'en imprègnent. Peut-être qu'un jour, en rentrant, ils diront chez eux : "tu as vu, la ville est ambassadrice du mouvement, qu'est-ce que tu en penses ?". Et ça peut déclencher des discussions dans les familles.
Maxime Lajeunesse, maire (SE) d'Albert
Des refus de dons d'organe en hausse
Actuellement en France, plus de 21 000 personnes attendent encore un don et sont sur liste d'attente. "En 2023, il y a eu plus de 800 personnes qui sont décédées, faute de don d'organes", dévoile Antoine Sénéchal. Parmi eux, on compte 15 enfants.
Ce n'est pas tout. "Il faut aussi dire qu'il y a 36% de refus de dons d'organe dans le pays et 45% dans les Hauts-de-France, preuve encore que les gens doivent se mobiliser et en parler entre eux". En France, "vous êtes présumé avoir consenti au don de vos organes sauf si vous vous êtes inscrit au registre national des refus", note le site Service public.
Les chiffres progressent... mais dans le mauvais sens. "Là, on était à 36% de refus en 2023. Les refus continuent d'augmenter durant les premiers mois de 2024 et on arrive à des chiffres qui n'ont jamais été aussi hauts depuis que les enregistrements de refus sont faits en France", déplore Antoine.
En comparaison, en avril 2007, mois du décès de Grégory Lemarchal, "il y avait autour de 27% de refus". Preuve qu'à travers un "évènement médiatique, les gens se mobilisent, se positionnent et en parlent. Ça peut faire diminuer ce taux de refus et, plus il va diminuer, plus ça fera forcément baisser le nombre de personnes en attente" et celles qui finissent par en mourir.
En moyenne, une personne qui donne ses organes peut sauver entre 6 et 7 vies.
Avec Paul-Guillaume Ipo / FTV