Frédéric Sauvage, directeur de recherche CNRS à l'Université de Picardie-Jules-Verne à Amiens, travaille sur la photoélectrochimie et les dispositifs photovoltaïques. Le Programme européen pour la recherche et l'innovation vient de retenir son projet et lui versera 2,5 millions d'euros sur cinq ans pour l'aider dans ses travaux.
Depuis le mois d'avril, Frédéric Sauvage est sur un petit nuage. Son dossier a décroché la bourse ERC Advanced du Conseil européen de la recherche, communément appelé ERC (European research council).
L'aventure remonte au mois de juin 2023 avec le dépôt de candidature. Son projet Gemini autour des pérovskites halogénées est étudié, vérifié en profondeur. Seuls 20% des dossiers sont validés.
Des prix Nobel dans le jury
La sélection finale passe par un oral en visio face à une vingtaine de scientifiques de haut vol. À la clé, une belle enveloppe de 2,5 millions d'euros sur cinq ans ! "Mon exposé était hyper travaillé. Je n'avais droit qu'à quatre minutes. Chaque mot avait son importance et chaque mot valait 10 000 euros", précise malicieusement Frédéric Sauvage.
L'épreuve se poursuit par 45 minutes de questions. Il faut convaincre des pontes du monde entier, dont des prix Nobel, "en quoi vous êtes le meilleur sur le sujet, pourquoi c'est nouveau et quels seront les impacts et les risques" du projet, nous explique le directeur de recherche au Laboratoire de Réactivité et Chimie des Solides à Amiens.
Créé en 2007, l'ERC est ouvert à toutes les disciplines. Le seul critère de sélection est l'excellence scientifique. Il est doté d'un budget de 16 milliards d'euros, qui permet de financer plus de 12 000 projets menés par plus de 10 000 chercheurs.
Chercheur à Amiens, Chicago et Lausanne
Originaire des Hauts-de-France, Frédéric Sauvage a passé son doctorat à l'Université-Picardie-Jules-Verne au début des années 2000, avant de poursuivre sa carrière à Chicago, puis à Lausanne. En 2010, il choisit le CNRS et l'UPJV : "Le modèle de la recherche française n'impose pas d'obligation de résultat et laisse du temps pour mener des recherches en rupture. Je voulais me laisser le temps de trouver des idées ayant un impact sociétal", confie-t-il.
Il travaille notamment pendant six années pour développer des systèmes photovoltaïques transparents. Déjà l'énergie solaire. Il publie une centaine d'articles, dépose une quinzaine de brevets et crée même deux sociétés.
Passionné des pérovskites halogénées
Mais son graal, le sujet qui va occuper tout son temps dans les mois et années à venir, et a convaincu l'ERC de financer son travail, se nomme pérovskite halogénée. "Ce matériau peut permettre de concevoir des panneaux solaires beaucoup moins chers et produire une électricité moins onéreuse de l'ordre de 3 à 4 centimes du k/Wh contre 25 centimes du k/Wh pour le tarif réglementé d'EDF !, s'enthousiasme Frédéric Sauvage.
Les applications potentielles des pérovskites halogénées pourraient remplacer les semi-conducteurs, comme le silicium. Leur production est simple et rapide, contrairement aux semi-conducteurs classiques. Problème : elles sont instables, se dégradent vite et leur fabrication est basée sur le plomb, un métal néfaste pour la santé.
La Terre reçoit en une heure, ce que la population mondiale consomme en un an. Cette énergie répond potentiellement à une grande partie des problématiques actuelles.
Frédéric Sauvage, chercheur au Laboratoire de réactivité et chimie du solide
Pour en comprendre les forces et les faiblesses, Frédéric Sauvage et son équipe vont se plonger dans l'origine du processus de fabrication de l'énergie photovoltaïque. Un espace-temps qui ne dure qu'une picoseconde, soit un millième de milliardième de seconde ! "Nous allons devoir développer un nouvel équipement dans les trois ans avec deux lasers de très haute énergie, des détecteurs et énormément d'optique sur une surface de 30m2 au sol au moins."
L'enjeu est énorme, comme le rappelle le scientifique : "La Terre reçoit en une heure, ce que la population mondiale consomme en un an. Cette énergie répond potentiellement à une grande partie des problématiques actuelles".
Des applications en médecine, en optique et en biologie
Si les recherches du chercheur picard concernent le photovoltaïque, les applications peuvent s'étendre à de nombreux domaines, de l'imagerie médicale à l'optique en passant par les batteries et même la biologie.
Les 2,5 millions d'euros de la bourse de l'ERC aideront à la fabrication de son matériel, mais également "à financer des étudiants en doctorat et en post-doctorat et embaucher sept à huit personnes", assure Frédéric Sauvage.
L'équipe aura au moins cinq ans pour percer les secrets de l'énergie solaire et placer définitivement Amiens sur la carte mondiale de la recherche scientifique.