L'UEFA a annoncé jeudi l'ouverture d'une enquête pour "plusieurs violations présumées" des règles du fair-play financier par le club anglais de Manchester City, à la suite des enquêtes "Football Leaks" parues dans différents médias européens, dont France 3 Hauts-de-France.
Le champion d'Angleterre en titre, détenu depuis 2008 par un membre de la famille régnante d'Abou Dhabi, le cheikh Mansour bin Zayed al Nahyan, va devoir rendre des comptes à l'Union Européenne du Football (UEFA) à la suite de la parution, depuis novembre 2018, de plusieurs enquêtes liées aux Football Leaks, ces millions de données confidentielles recueillies par le magazine allemand Der Spiegel et analysées avec ses partenaires de Mediapart et de l'EIC (European Investigative Collaborations).
"L'enquête se concentrera sur plusieurs violations présumées du fair-play financier qui ont été rendues publiques récemment par différents médias", a indiqué jeudi l'UEFA dans un communiqué, précisant qu'elle ne ferait "aucun autre commentaire" sur ce dossier durant la phase d'instruction.
Contrats de sponsoring gonflés
Début novembre, Mediapart et Der Spiegel avaient accusé Manchester City d'avoir "gonflé artificiellement les contrats de ses sponsors" afin de "contourner le fair-play financier", mis en place en mai 2010 dans le but d'empêcher les dépenses excessives et le financement à fonds perdus des clubs engagés en Ligue des Champions et en Ligue Europa.
"Les documents Football Leaks montrent qu’Abou Dhabi a apporté la somme hallucinante de 2,7 milliards d’euros au club en sept ans, grâce à son actionnaire et à des contrats de sponsoring surévalués", avait dénoncé Mediapart.
La semaine dernière, les journalistes du magazine Der Spiegel en ont remis une couche en publiant des documents internes - notamment des courriels des dirigeants mancuniens - montrant les combines pour gonfler certains contrats de sponsoring, notamment celui avec la compagnie aérienne émiratie Etihad, dont les versements semblent en réalité assurés par Abu Dhabi United Group (ADUG), la holding du cheikh Mansour qui détient Manchester City.
Investissement caché dans des joueurs
La semaine dernière, en association avec Der Spiegel, Mediacités et Mediapart, France 3 Hauts-de-France a également révélé que le club anglais avait contourné les règles du fair-play financier en 2014, en investissant secrètement sur des joueurs de football sud-américains, via Mangrove, une société luxembourgeoise de Gerard Lopez (aujourd'hui président et propriétaire du LOSC), avec la complicité de Marc Ingla (aujourd'hui directeur général du LOSC).
Dans un document de travail transmis par Ingla à Manchester City en avril 2013, Mangrove se présente ainsi comme "facilitateur clé pour éviter les règles du FPF" (Fair Play Financier NDR) et propose un montage juridique sophistiqué pour masquer les liens entre le club anglais et le fonds d'investissement MPI II & Partners qui sera créé à l'automne suivant.
"Les investisseurs du véhicule doivent être indépendants du club de football partenaire pour ne pas être une partie liée et ainsi contourner les règles du FPF", souligne Marc Ingla, en juillet 2013, dans un courriel adressé à un cadre de City. "La structure entière gravite autour de cette idée".
MPI II & Partners sera financé par Roscalitar Limited, une société offshore des Iles Caïmans via laquelle Abou Dhabi injectera 10 millions d'euros en souscrivant des obligations. Au total, le fonds luxembourgeois fera l'acquisition des droits économiques d'au moins quatre joueurs pour le compte du City Football Group (qui regroupe Manchester City et ses clubs-filiales comme le New York City FC aux Etats-Unis) : les Argentins Bruno Zuculini et Geronimo Rulli, l'Equatorien Andres Mendoza Uza et le Colombien Javier Calle.
MPI II & Partners cessera d'acheter des droits économiques de joueurs au printemps 2015, en raison de l'interdiction définitive de la tierce propriété (ou TPO), une pratique qui permettait à des fonds d'investissement d'acheter des parts de joueurs afin d'empocher ensuite un gros pactole lors des transferts.
City "se félicite" de l'ouverture d'une enquête
"Manchester City se félicite de l'ouverture formelle d'une enquête, que le club considère comme une opportunité de mettre fin aux spéculations nées d'un piratage informatique illégal et de la publication de courriels de City sortis de leur contexte", a réagi jeudi le club anglais dans un communiqué. "L'accusation d'irrégularités financières est entièrement fausse. Les comptes publiés par le club sont complets, respectent la loi et la réglementation en place".
Jusqu'à présent, Manchester City s'était contenté d'envoyer la réponse standard suivante à chaque sollicitation liée aux Football Leaks : "Nous ne ferons aucun commentaire sur des éléments hors contexte prétendument piratés ou volés au personnel du City Football Group, de Manchester City et aux personnes associées. La tentative de nuire à la réputation du club est organisée et claire."
Principale source des Football Leaks, le lanceur d’alerte Rui Pinto a été arrêté mi-janvier en Hongrie. Soupçonné au Portugal de vol de données et de "tentative d’extorsion" (lire son interview ici), la justice hongroise a ordonné mardi son extradition vers son pays natal. Rui Pinto et son avocat ont immédiatement annoncé faire appel, arguant notamment d'une "erreur de procédure" dans l'émission du mandat d'arrêt. "Nous espérons que dans quelques semaines la Cour supérieure examinera tous les aspects du dossier", a précisé le Portugais qui estime que "la décision de l’extrader est aussi une question de vie ou de mort".
Rui Pinto redoute d’être agressé par des fans du Benfica s’il est incarcéré dans une prison portugaise. Ces derniers mois, il a reçu de nombreuses menaces de mort par courriel. La presse portugaise a en effet écrit qu’il serait l’homme ayant piraté des mails confidentiels du Benfica – ce qu’il dément. L’affaire a fait scandale au Portugal et a provoqué plusieurs procédures judiciaires visant le club.
Deux mois avant son arrestation, Rui Pinto avait par ailleurs commencé à collaborer, en France, avec le parquet national financier (PNF), à qui il a remis 12 millions de fichiers informatiques issus des Football Leaks. Le PNF a lancé le 19 février une procédure de coopération judiciaire européenne pour partager ces documents, lors d’une réunion d’Eurojust qui a rassemblé neuf pays.
Une enquête aussi en Angleterre
Selon plusieurs medias britanniques, la Fédération anglaise de football (FA) va se pencher sur le transfert de Bruno Zuculini à Manchester City en juillet 2014. Le club anglais avait versé à cette occasion une commission de 2,5M$ (2M€ à l'époque) au fonds luxembourgeois MPI II & Partners mis en place par la société Mangrove de Gerard Lopez.Trois mois auparavant, en avril 2014, MPI II & Partners avait payé 1,9M$ à Pub Soccer, une société néerlandaise détenue par l'agent du milieu de terrain argentin, qui évoluait alors au Racing Club de Avellaneda. En échange, l'intermédiaire s’engageait à "inciter le joueur à conclure un accord avec le club de football désigné" par le fonds, à savoir... Manchester City.
Intriguées par un tel deal, la FA et la Premier League avaient alors demandé à Manchester City des précisions sur le financement de cette transaction. Le club anglais avait alors répondu dans une lettre officielle que les trois actionnaires de Mangrove - dont "Gerardo Lopez" - étaient "la source des fonds de MPI avec lesquels elle a payé ses obligations en vertu de l’accord avec Pub Soccer." Une version contredite par les documents Football Leaks qui indiquent que le financement provenait d'Abou Dhabi, via la société Roscalitar Limited, domiciliée aux Iles Caïmans.
Contrairement à l'UEFA, la Fédération anglaise de football n'a pas annoncé officiellement pour le moment l'ouverture d'une enquête. Mais la Premier League, elle, a confirmé ce vendredi qu'elle avait contacté Manchester City pour "demander des informations liées à des allégations récentes", ajoutant qu'elle "dialogue avec le club". "La ligue dispose de règlements financiers détaillés et de règles très fortes dans les domaines des embauches de joueurs pour le centre de formation et de propriété (de joueurs) par des tiers", rappelle-t-elle. "Nous sommes en train d'enquêter sur ces sujets et nous permettrons à Manchester City d'en expliquer le contexte et les détails".