C'est une assemblée générale annuelle ordinaire qui s'est déroulée sur fond de mutation de juge d'instruction et de doutes quant à l'éventualité d'un procès de l'amiante au pénal pour des victimes qui n'ont pas beaucoup de temps devant elles.
Ce lundi 18 mars la ministre de la Justice, Christiane Taubira, a déchargé la juge Marie-Odile Bertella-Geffroy de ses fonctions au pôle santé du tribunal de grande instance (TGI) de Paris, où elle était devenue la magistrate emblématique du dossier de l'amiante.Une bien mauvaise nouvelle pour toutes les victimes de l'amiante, particulièrement celles de la "vallée de la mort", à Condé-sur-Noireau qui se demandent s'il y aura un jour un procès de l'amiante au pénal.
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Se voulant rassurante, la Garde des sceaux, Christiane Taubira, affirme que deux juges d'instruction seront prochainement nommés en vue de remplacer Marie-Odile Bertella-Geffroy pour "que les dossiers concernés trouvent un aboutissement procédural dans les plus brefs délais".
Christiane Taubira "tient à ce que le changement de fonctions" de la juge "n'ait aucune incidence sur la conduite des dossiers de santé publique" dont elle était chargée.
De son côté, Marie-Odile Bertella-Geffroy a annoncé avoir pris acte de la décision de la ministre et de l'avis du Conseil Supérieur de la Magistrature (CSM) et décidé d'attaquer cette décision devant le Conseil d'Etat, comme elle l'a expliqué sur notre antenne ce mardi 12 mars :
"Le fait que la juge soit déchargée de ses fonctions sans qu'on ait organisé sa transition est un dysfonctionnement de l'institution judiciaire, qui se traduira par un retard supplémentaire qu'on peut évaluer à un an", a réagi Michel Parigot, vice-président de l'association nationale des victimes de l'amiante (Andeva).
C'est probablement une question qui sera abordée ce vendredi lors de l'assemblée Générale de l'ALDEVA à Condé-sur-Noireau. Les victimes seront peut-être rassurées de savoir que la ministre de la Justice s'engage à mettre des moyens supplémentaires pour traiter de cette affaire qui dure depuis plus de 15 ans. Mais alors, pourquoi ne pas avoir donné plus tôt des moyens supplémentaires à la juge Bertella-Geffroy quand elle instruisait ce long et douloureux dossier ? La question se pose.
Dans son avis, le CSM préconisait implicitement la mutation de la juge.
Selon lui, nommée vice-présidente chargée de l'instruction au TGI de Paris en 2003, elle entre dans les critères d'application de la loi prévoyant que les magistrats spécialisés soient "déchargés automatiquement de leurs fonctions" au bout de dix ans, règle qui s'applique aux nominations intervenues après le 1er janvier 2002.
La magistrate, soulignant qu'elle était déjà juge spécialisée avant 2002, conteste être soumise à cette règle, d'où son recours devant la plus haute juridiction administrative.
"Mais le plus important", a-t-elle assuré, "c'est ce que j'avais demandé par lettre au ministre de la Justice le 25 février par l'intermédiaire de mon syndicat FO-magistrats : que soit posée la question au CSM du fonctionnement de la justice dans le traitement des procédures au pénal des affaires de santé publique par toutes les instances judiciaires intéressées".
"Au-delà de ma situation personnelle, la justice veut-elle vraiment de ces affaires de santé publique au pénal?", s'est-elle interrogée, en soulignant le "rôle important" de l'autorité judiciaire dans la "protection des citoyens et des consommateurs".
Déterminée et intègre selon ses soutiens, obstinée et isolée selon ses détracteurs, Marie-Odile Bertella-Geffroy a aussi instruit une partie de l'affaire du sang contaminé à partir de 1994 et conduit l'enquête sur l'hormone de croissance.
Sa possible mutation avait pris un tour politique avec la mise en examen en novembre par la juge de l'ancienne première secrétaire du PS Martine Aubry pour homicides et blessures involontaires.
Martine Aubry est poursuivie en tant qu'ancien haut fonctionnaire du ministère du Travail entre 1984 et 1987, dans le cadre de l'enquête sur l'exposition à l'amiante de travailleurs de l'usine Ferodo-Valeo de Condé-sur-Noireau. La magistrate lui reproche de ne pas avoir pris les mesures qui auraient permis d'éviter les conséquences dramatiques de cette exposition.
Martine Aubry a contesté sa mise en examen fin février devant la cour d'appel de Paris, qui rendra sa décision le 17 mai.
En 2005, un rapport sénatorial avait accablé l'Etat pour sa "gestion défaillante" de l'amiante, jugé responsable par les autorités sanitaires de 10 à 20% des cancers du poumon et qui pourrait provoquer 100 000 décès d'ici à 2025. Le caractère cancérigène de l'amiante est connu depuis les années 50, mais le premier décret réglementant son usage en France date de 1977 et son interdiction n'est intervenue qu'en 1997.
A Condé-sur-Noireau, on compte déjà de nombreux décès parmi les victimes de l'amiante et la liste n'est pas prête d'être close.