Des élus, des syndicalistes et des écologistes de la Manche, le département le plus nucléarisé de France, ont recensé les points faibles de la sûreté nucléaire, à la lumière de la catastrophe de Fukushima, dans un livre blanc paru jeudi, une première en France.
Une catastrophe comme celle de Fukushima pourrait-elle se produire dans la Manche ? En cas d'accident, quelle protection pour la population ? C'est la question de fond de ce travail mené pendant deux ans par le collectif, et qui se concrétise aujourd'hui par la publication d'un livre blanc.
Le document regroupe 184 questions posées aux industriels comme à la Défense nationale et "comprend de nombreuses et importantes questions qui n'ont trouvé aucune réponse ou des réponses partielles, incomplètes ou pire encore contradictoires", écrivent les élus locaux PS, UMP, DVD ou EELV, dont plusieurs sont des anciens d'Areva ou EDF, dans une synthèse papier.
Le livre blanc a été mis en ligne sur les sites cli-areva.fr, cli-flamanville.fr et cli-andra.fr.
Les élus, associations (Greenpeace, FNE) et syndicats, qui se réunissent régulièrement à l'occasion de commissions locales d'informations (CLI) sur trois sites nucléaires civils de la Manche, ont mené 18 auditions. Ils se sont aussi rendus au Japon pour entendre des élus victimes de la catastrophe de Fukushima, qui a "balayé (les) certitudes" des élus manchois.
"Le périmètre (d'évacuation) de 2 kms" autour d'un site, actuellement prévu en cas d'accident majeur, "est une ineptie", a ainsi relevé le conseiller général PS Pierre Bihet, lors d'une conférence de presse à Cherbourg.
Le reportage de Stéphanie Potay et Stéphanie Lemaire (ITV : Pierre Bihet, Conseiller général- Membre de l'intercli Post-Fukushima)
La sous-traitance pointée du doigt
Mais la principale conclusion des élus, c'est qu'il "faut impérativement sortir de la logique économique. On ne peut pas laisser (le nucléaire civil) entre les mains de gens qui tirent les prix au détriment de la sécurité", écrivent-ils dans le livre blanc, alors qu'EDF et Areva ont été partiellement privatisés il y a plusieurs années et que le recours à la sous-traitance est croissant.
"Le travail de près de 2.000 sous-traitants est parfois contrôlé seulement par une petite dizaine de salariés EDF lors des arrêts" pour maintenance, a ainsi raconté aux CLIs le comité d'hygiène et de sécurité (CHSCT) d'EDF, pour qui "on peut parler d'une perte de compétence en déléguant systématiquement des gestes techniques à la sous-traitance".
Les élus se basent aussi sur leur expérience : "Le lundi 11 mars 2013, la Manche connaissait un épisode neigeux sans précédent. Le surlendemain, les militaires d'Angers (...) dégageaient l'accès à l'usine" Areva de Beaumont-Hague "et permettaient la relève du personnel (320 personnes) bloqué par les intempéries. Le dégagement de la route a été jugé par le gouvernement comme un enjeu de sûreté. Comment aurait-on organisé l'évacuation des populations en cas d'accident ?" écrivent les auteurs.
Et si un avion attaquait les bâtiments des piscines de refroidissement ?
Sur ce site, qui concentre le plus de matière radioactive en Europe, les piscines où refroidissent, avant retraitement, les combustibles irradiés dans les centrales, n'ont pas de toit en béton comme cela est prévu pour les piscines des futurs réacteurs nucléaires EPR, relèvent les CLIs.
Dans les piscines d'Areva La Hague refroidissent l'équivalent en rejets radioactifs potentiels de 100 réacteurs.
Or les combustibles sont dans des bâtiment comparables à "des hangars", a résumé Michel Laurent, conseiller général DVD, président des CLIs et ex- salarié du site, en conférence de presse.
Tel qu'est configurée l'usine, "les bassins pourraient résister au crash accidentel d'un petit avion. Mais qu'en est-il pour les gros porteurs ?" ont demandé les CLIs.
La réponse d'Areva n'est valable que pour trois des quatre piscines, selon le livre blanc.
L'armée de l'air est certes "susceptible (...) d'intercepter ou détruire l'intrus" éventuel. Et "depuis 2001, le gouvernement a installé un radar beaucoup plus performant, sur l'aéroport de Maupertus (à 30 km de l'usine Areva et 40 km de la centrale de Flamanville ndlr). Mais ces mesures sont-elles efficaces quand on sait qu'en 2001 un avion a percuté le Pentagone, site pourtant éminemment protégé ?", interroge le livre blanc.
Alors que Fukushima a rappelé combien l'alimentation en eau des piscines est un point central, Areva assure "disposer de réserves considérables" et qu'"en dernier recours, la mer représenterait une source inépuisable". Mais la CLI s'interroge sur la façon dont Areva "alimenterait les piscines à partir du niveau de la mer (plus de 150 m de dénivelé)".