L’artothèque de Caen a accueilli une première mondiale le 9 novembre : l’artiste Ettore Labbate vendait 36 de ses œuvres à prix dégressifs. Un prix de départ est fixé et le public enchérit à rebours. Une manière originale de remettre en question le marché de l’art.
Vous voulez choisir le prix du tableau que vous accrocherez dans votre salon ? C'est ce que proposait ce happening inédit de l’artothèque de Caen ! Avant de quitter le Palais Ducal où il expose depuis un mois, Ettore Labbate a voulu organiser une « vente aux moins chères ». Il a choisi 36 de ses œuvres et a fixé un prix de départ, dans une fourchette de 50 à 1500 euros. Sur quels critères s’est-il basé ? Le coût des matériaux utilisés, son temps de travail, mais aussi la taille de l’œuvre.
C’est ainsi qu’un grand monochrome noir qui a demandé 30 heures de travail à l’artiste est estimé à 1500 euros.
Mais il pourrait bien être vendu à beaucoup moins que ça. Car samedi un marchand d’art animera la vente comme une vente aux enchères… à l’envers ! En l’absence d’acquéreur à 1500 euros il proposera le tableau un peu moins cher, puis encore un peu moins cher… jusqu’à ce que quelqu’un se décide… ou pas. Car qui oserait acheter une œuvre d’art à prix bradé ?
Une réflexion sur le marché de l’art
Et c’est là tout la subtilité de la vente proposée par Ettore Labbate : l’artiste veut provoquer une réflexion sur le marché de l’art et remettre l’art à sa juste place, « quelque part entre le luxe et la misère, qui sont les deux maladies de notre société ».Pour pousser sa réflexion sur le rapport aux œuvres d’art et à leur possession, Ettore Labbate va même jusqu’à proposer aux particuliers de l’emprunter, lui, l’artiste, sur le principe de l’emprunt d’une œuvre à l’artothèque. Des créneaux sont disponibles en novembre et décembre si vous voulez tenter l’expérience… Ettore Labbate revêtira sa cape en papier bulle pour se protéger comme on protège un tableau avant de quitter l’artothèque, et vous pourrez l’emmener pour 3 heures ! Pour quoi faire ? Surprise ! L’Italien a définitivement le goût du risque, et l’envie de faire des rencontres.Je suis prêt à perdre de l’argent pour gagner en réflexion
Ettore Labbate
Une vente inédite qui clôt une exposition originale et collaborative
Son exposition à l’artothèque a été ponctuée de séances de travail collaboratives. En fin d’exposition, les œuvres sont celles de tous ceux qui y ont participé. Certains ont collé 233 papiers d’emballages de boulangerie pour réaliser une immense toile intitulée « la faim de L’artiste ».
D’autres ont poncé du plâtre sur un tableau avec du papier de verre pour faire apparaître le sujet du tableau, en prenant garde à ne pas gratter certaines cases numérotées qui correspondent à la célèbre suite mathématique de Fibonacci.
D’autres ont raboté une poutre en pin massif de 260 kg : sur le rabot est inscrit le mot « Travail », qui progressivement efface les mots écrits sur la poutre : « Marchandisation » et « Production ».
Le statut de l’œuvre est au cœur de cette exposition atypique, tout comme du lieu qui l’accueille.
En proposant aux particuliers, entreprises et collectivités d’emprunter des œuvres, l’artothèque bouscule les idées reçues et permet à tous de louer le travail des artistes.
L’artothèque : emprunter à moindre coût pour embellir son quotidien
Depuis 1986 à Caen, l’artothèque invite le grand public à découvrir l’art contemporain, et à se l’approprier. Car contrairement à un musée, ici vous venez regarder, mais aussi toucher, choisir, et repartir avec les œuvres ! Pour 65 euros par an, chaque abonné peut emprunter deux œuvres tous les deux mois. « Certains viennent pour trouver des photographies, et repartent avec une sérigraphie, parce qu’ils ont eu un coup de cœur, explique Jennifer Février, chargée de communication et médiatrice à l’artothèque de Caen.
Il faut dire que le choix est vaste : de 150 au départ, la collection est passée à 2700 œuvres. Environ 500 sont accrochées sur de grandes grilles, les autres décorent les murs des maisons des abonnés.
Favoriser les coups de cœur
Les tableaux sont accrochés de manière aléatoire, au fur et à mesure des retours, ce qui fait un patchwork d’art contemporain dans lequel chacun peut piocher en fonction de ses envies et de ses humeurs.
Et à l’entrée, un mur est destiné aux abonnés, afin qu’ils affichent leurs coups de cœur… qui peuvent se transformer en crève-cœurs lorsqu’il faut rendre un tableau qui allait si bien dans son salon ! « Certains ont du mal à ramener une œuvre tellement ils l’aiment, mais cela fait partie du jeu, pour que chacun puisse en profiter. Dans le même esprit, nous ne prenons pas de réservation.» explique Jennifer Février.
Si vous doutez encore que l’art contemporain soit fait pour vous, l’artothèque propose des « samedis de l’art » : chaque dernier samedi du mois, une visite commentée gratuite permet de découvrir l’exposition en cours, et donc le lieu. Si vous voulez venir en famille à l’artothèque, c’est plutôt pour un « goûtez l’art » chaque premier mercredi du mois : une visite, un atelier pour les enfants de 4 à 10 ans, et un goûter.