Dans la plaine de Caen, les moissonneuses-batteuses sont de sortie de plus en plus tôt

En ce tout début du mois de juillet, les moissons d'orge s'achèvent et celles du blé vont commencer incessamment sous peu dans la plaine de Caen. La météo des derniers mois a bousculé le calendrier des agriculteurs qui s'inquiètent à la fois de la qualité de leurs récoltes mais aussi de leurs prix de vente dans un contexte marqué par la guerre en Ukraine.

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Ce dimanche 2 juillet, les nuages s'amoncellent dans le ciel au-dessus de la plaine de Caen. A Soignolles, les moissonneuses-batteuses ont entamé une course contre la montre et le temps. La pluie viendrait gâcher la moisson d'orge d'hiver en cours. Ce serait trop bête à quelques heures de la fin. Et pourtant, la récolte cette année a de sérieuses longueurs d'avance sur le calendrier habituel. "Une petite dizaine de jours d'avance", explique Julien Aubré, céréalier au volant de son imposant véhicule. 

Quelques kilomètres au nord, à Fierville-Bray, Geoffroy De Lesquen, vice président de la FDSEA, s'apprête à son tour à sortir sa moissonneuse-batteuse du garage. Habituellement, il commence à récolter son blé autour du 10-14 juillet. "Quand je regarde l'épi, les grains de blé, je vois bien qu'ils sont formé, qu'ils sont durs. Pour moi, c'est une parcelle qui va être à récolter demain ou après-demain." Soit une semaine d'avance sur le calendrier habituel. "Ça fait longtemps que ce n'était pas arrivé. C'est assez surprenant."

"On constate l'impact du changement climatique"

Au moment d'expliquer cette précocité de la maturité de ses blés, Geoffroy De Lesquen n'a pourtant pas l'ombre d'une hésitation. "On a d'abord eu un mois d'avril et un début du mois de mai très secs. On n'a pas eu une goutte d'eau ici, au sud de Caen. D'un point de vue végétatif, les cultures ont accéléré les choses. Ensuite, on a eu une période très très chaude au mois de juin. Là encore, ça a accéléré les choses."

A priori, l'agriculteur estime qu'il aura terminé ses moissons à la fin du mois de juillet. Les deux années précédentes, les moissonneuses avaient été mises au repos à la mi-août. "C'est très aléatoire d'une année à l'autre", indique tout d'abord Geoffroy De Lesquen avant de convenir que "par rapport à il y a dix ans, on commence en général plus tôt la moisson. On a quand même une tendance à une maturité bien plus rapide il faut être clair. On constate l'impact du changement climatique."

"Ça inquiète pour les années à venir"

A Soignolles, son confrère Julien Aubré confirme et estime la tendance encore plus profonde. "Moi, j'ai des souvenirs enfant, je finissais les récoltes fin août début septembre", raconte le céréalier, "Aujourd'hui, c'est assez courant de finir la première semaine d'août. Par rapport à il y a 20 ans, on a bien avancé de trois semaines". Et ce bouleversement du calendrier est loin de ravir l'agriculteur. "Ça inquiète pour les années à venir", confie Julien Aubré, "Plus les années passent, plus on s'aperçoit qu'on perd en rendement et en qualité de produit".

Des moissons précoces n'ont jamais été une bonne nouvelle pour les agriculteurs. " Quand on a des parcelles qui arrivent très tôt à maturité, c'est souvent signe de mauvais rendement parce que ce sont des parcelles qui ont souffert", explique Geoffroy De Lesquen. Cependant, les premières observations dans sa parcelle de blé ne le plongent pas, pour le moment, dans un profond désespoir. "Si je regarde les épis, je vois qu'il y du grain en bas et surtout en haut. Ca veut dire que globalement, les épis sont bien remplis. Si je regarde la taille des grains à vue de nez, ils sont plutôt pas mal." Pas question pour autant de crier tout de suite victoire. En bon Normand, le "ptet ben qu'oui, ptet ben qu'non" s'impose. Au niveau national, les acteurs de la filière annonce une récolte de blé tendre correcte cette année. Le rendement "atteindrait 69,5 quintaux à l'hectare en 2022, soit -3% par rapport à la moyenne des dix dernières années. La teneur moyenne en protéines est quant à elle estimée à 11,6 %, une valeur correspondant à la moyenne décennale", estime Arvalis (institut du végétal) dans un communiqué publié cette semaine.

"Le gros facteur, c'est la guerre en Ukraine"

Avant même d'avoir débuté la moisson, Geoffroy De Lesquen a déjà vendu près de 40% de sa récolte 2022 et ce depuis plusieurs mois. Les 60% restant pourraient s'avérer fructueux, si le rendement est au rendez-vous. "L'année dernière, on était environ à 200 euros la tonne. On est monté jusqu'à 400 il y a quelques semaines. Là on est plutôt vers les 300-350", indique l'agriculteur. Pour autant, la sérénité n'est pas de mise. "Même si la tendance est bonne, Il y n’a aucune garantie que ça redescende pas d'ici 6 mois (...) Le gros facteur, c'est la guerre en Ukraine. Si demain la guerre s'arrête, ils peuvent recommencer à exporter massivement et là forcément les prix vont baisser."

Or, si l'agriculteur peut stocker son blé "au moins un an" et le vendre quand il le souhaite (en fonction du cours), c'est dès maintenant qu'il prépare les récoltes de l'année suivante. "Je suis en train d'acheter les engrais pour ma moisson 2023. Les prix ont été multipliés par quatre. Aujourd'hui, le prix des céréales que je vais vendre est correct et va me permettre d'acheter très très cher les engrais. Mais dans six mois, je n'en suis pas du tout sûr. Il peut y avoir un effet ciseaux : je peux me retrouver à vendre ma production avec des prix qui auront beaucoup baissé en ayant acheté des engrais extrêmement chers", redoute Geoffroy De Lesquen. L'agriculteur a  donc déjà commencé à chercher des acquéreurs pour son blé de l'an prochain.

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