En avril 2018, un nouveau squat, baptisé le Marais, est installé au centre-ville de Caen. Dans un espace de 32.000 m2 alors inoccupé, près de 250 migrants dont 80 enfants trouvent refuge et organisent un quotidien fait de solidarité, d'entraide, mais aussi de menace d'expulsion.
Ils s’appellent Nafissat, Rudina, Puja, Salman et Myriam. Cinq migrants, parents ou adolescents, que de jeunes réalisateurs ont suivi dans ce squat appelé Le Marais, en plein centre-ville de Caen, en Normandie. Nous sommes en 2018 et leur quotidien se dessine sous la menace perpétuelle de l'expulsion. Mais cela ne les empêche pas de rêver. Rever de "ne plus être considéré comme des invisibles et des indésirables". Et de poursuivre un même objectif : sortir de la clandestinité.
"L’hébergement d’urgence à Caen et ailleurs, c’est toujours plus de personnes à la rue. Des squats expulsés, plus de la moitié des places d’accueil supprimées..." En avril 2018, des militants et le collectif l'AG de lutte contre toutes les expulsions ouvrent un nouveau squat au centre-ville de Caen, baptisé le Marais. Ces bureaux abandonnés, propriété d'ENGIE, deviennent le refuge de 250 migrants dont 80 enfants. Avec ses 32.000 m2 d'espace auto-gérés, le Marais devient l'un des plus grands squats de France, avec en son sein des familles au parcours aussi singulier que douloureux.
Il y a par exemple Nafissat et son fils de quatre ans, Fahran. "Parfois je n'avais pas d'endroit où dormir, je devais appeler mes amis... Dormir dehors c'est terrible avec un enfant et je ne veux pas que mon enfant soit élevé comme ça [...] Ici c'est mieux que de dormir deux jours quelque part et devoir s'en aller". Cette Nigérianne de 37 ans est l’une des leadeuses du Marais. Toutes les semaines elle s’occupe de la distribution de nourriture et organise le ménage des lieux, tout en prenant soin de son fils.
Ma vie n'est pas en danger ici. C'est bien parce qu'il y a plein d'enfants. Ils peuvent jouer dehors, ils se sentent comme dans une maison, pas à la rue.
Mais cette mère célibataire angoisse d'être expulsée. "J'ai très peur pour mon fils et moi. J'ai déjà été traumatisée quand j'étais au Nigeria, je ne peux pas revivre ça en France."
On découvre alors Myriam, une adolescente de 17 ans. Myriam vit cachée dans le squat, la peur au ventre que ses camarades de classe découvrent où elle réside."Je viens du Nigeria et ça fait presque 4 ans qu'on est en France. Je vais au lycée. Au lycée, je ne dis rien, je me cache beaucoup, énormément", confie-t-elle. Ses études, c'est son échappatoire.
Jamais je pensais que ça se passerait comme ça, que j'allais vivre illégalement en France.
La Famille Xhafa, elle, est d'origine albanaise et vit de squat en squat. Rudina, la mère de famille, raconte : "Depuis que je suis en France je galère. La vie en squat c'est compliqué. Avant d'arriver au Marais, on a vécu plus de 6 mois dans un garage. Ici c'est mieux, on a une chambre et un salon, c'est plus propre. C'est le meilleur squat qu'on a connu : il y a du chauffage, des toilettes, une cuisine... Il y a même un espace à l'extérieur pour les enfants."
Salman, 14 ans, tchétchène, a de son côté ouvert au squat son propre salon de coiffure. Il fallait bien travailler "pour se payer à manger quand on n’a pas de mère pour te préparer des petits plats". La vie au squat l’a sorti de la rue où il vivait jusqu’alors avec son père. "Pendant 7 ans, j'ai vécu dans la voiture avec mon père."raconte-t-il.
Un quotidien fait de solidarité... et de peur
Dans ce lieu autogéré, la solidarité a élu domicile. "Le Marais, c'est un quartier avec ses habitations, ses espaces collectifs, ses terrains de jeu pour les enfants" raconte Mathilde, une Caennaise militante pour La défense du Marais. La vie a repris ses droits. Jusqu'au jour funeste où la menace de l'expulsion a fait irruption.
Le documentaire "Les Enfants du Marais" met aussi en avant l'action des Caennais qui "ne veulent pas rester invisibles", qui ont décidé de sortir dans la rue avec leurs banderoles sur lesquelles on peut lire des "appels à la résistance", "non aux explusions", "méditerranée = cimetière". Le message est clair : défendre le squat du Marais et "ses 250 exilés comme tous les autres squats", soulignant qu' "ici il y a beaucoup de familles, avec des enfants et des personnes âgées".
L'expulsion vue de l'intérieur
Dans leur carnet de tournage, les réalisateurs Quentin Cezard, Raphaële Taquard et Thomas Gathy racontent ces mois à se fondre dans le paysage du Marais, à nouer une relation privilégiée avec les militants.
A partir de l’été 2019, nous étions informés en permanence des bruits d’expulsion. Nous nous sommes tenus prêts à tous moments, nous déplaçant plusieurs fois tôt le matin au squat. A de nombreuses reprises les rumeurs devenaient de fausses alertes. Le jour J de l’expulsion a eu lieu finalement le 22 octobre 2019.
Au côté de militants barricadés sur le toit du squat ou avec les habitants qui terminaient leurs valises, les réalisateurs ont pu recueillir les derniers moments de vie de ce lieu. "L’expulsion, menée par 200 membres des forces de l’ordre, n’a duré que 2 heures. Depuis ce jour, l’esprit du Marais perdure. En ce lieu, le vivre ensemble a pris toute son importance."
A VOIR. "Les Enfants du Marais" sur France 3 Normandie, lundi 22 mars à 22h50
Dans le documentaire "Les Enfants du Marais", les réalisateurs ont suivi pendant sept mois des habitants de ce squat installé dans le centre-ville de Caen en avril 2018. Parmi eux, Nafissat, Myriam, Salman et la famille Xhafa. Comment réussir dans la clandestinité à se forger une identité française ? Comment vivre dans cet immense squat autogéré accueillant 250 habitants dont 80 enfants et sous la menace perpétuelle de l'expulsion. ? "Les Enfants du Marais" met en lumière des destins croisés au coeur d’un des plus grands squats de France. A ne pas manquer, lundi 22 mars 2021 à 22h50 sur France 3 Normandie.