Le lieu n'est pas ouvert à la visite. Il est sombre et mystérieux. À Caen, dans les caves de l'Abbaye aux Dames où siège la région Normandie, trois vieux cachots se prêtent idéalement à un escape game. Encore faut-il accepter de se laisser enfermer...
L'élégante abbaye cache bien son côté sombre, hérité de l'Histoire. Qui peut soupçonner que derrière sa belle façade en pierre de Caen, l'ancien couvent abrite d'autres cellules que celles destinées aux Bénédictines ?
Dans un couloir qui mène vers l'ancien cloître, une porte anonyme ouvre sur un escalier de pierre. Il s'enfonce dans l'obscurité. "Ce sont les anciennes caves de l'abbaye aménagées au XVIIIe siècle pour le stockage des aliments et des tonneaux des Bénédictines, raconte Antoine Dauvin, chargé de l'accueil du public. Là-bas, il y a une partie originale..."
La discipline militaire à l'abbaye
Un étroit passage en terre battue débouche sur une lourde porte en bois. "Dans une partie des caves, des cachots ont été aménagés au XIXe siècle, explique Antoine Dauvin. On ne s'attend pas à trouver cela dans une abbaye bénédictine."
L'endroit est glaçant. Dans chacune de ces cellules carcérales, de gros barreaux strient la lumière du soupirail. "Ces espaces ont été aménagés par les Prussiens qui ont occupé le nord de la France à la chute de Napoléon en 1815. Un régiment a stationné à l'Abbaye aux Dames. Des cloisons en béton ont été montées dans la cave. Les cachots ont ensuite servi à la discipline militaire".
L'histoire ne s'arrête pas là. Ces lieux d'enfermement ont encore été utilisés pendant près d'un siècle. Des graffitis étonnamment conservés en témoignent encore. Une main anonyme a écrit : "Venu ici pour forte tête le 6 janvier 1930". Les cachots ont manifestement été recyclés par les maisons de correction.
Un escape game dans les cachots
Sur le montant en bois d'une porte, quelqu'un a gravé des bâtonnets pour égrener les jours. À travers les barreaux, un courant d'air fait danser les toiles d'araignée. "Jusqu'ici, cet endroit n'était ouvert que lors des journées du Patrimoine. On s'est demandé ce qu'on pouvait faire de cet endroit insolite qui méritait d'être connu. D'autant qu'il est relié à un événement méconnu de l'histoire de France".
Le service en charge d'accueillir le public à l'Abbaye aux Dames a donc imaginé un escape game. Chaque jour de l'été, des petits groupes de joueurs descendent les marches de l'escalier et foulent le petit passage en terre battu qui conduit aux cachots.
"La France a été envahie par les Prussiens"
Un animateur plante le décor : "Nous sommes en 1871. La France a été envahie par les Prussiens". Il propose ensuite un petit séjour à l'ombre : "j'ai besoin d'un prisonnier ici". La porte et le cadenas se referment. L'animateur retourne le sablier. L'équipe a une heure pour résoudre une sombre histoire d'espionnage qui permettra de recouvrer la liberté.
Dans les cachots, le mobilier, une banquette austère, est plus vrai que nature. "Je veux sortir. J'aime pas trop être enfermé", sourit un joueur. Le temps s'écoule lentement derrière les barreaux. Pourtant, les équipiers s'activent. Ils fouillent le passé. Ils lèvent un voile sur cet épisode oublié de la seconde occupation prussienne.
L'été prochain, les cachots seront le théâtre d'un autre escape game, d'inspiration médiévale cette fois. Gare aux oubliettes... Le temps s'écoule. L'heure est bien entamée. L'équipe peine à dénouer le fil de l'histoire. Aux dernières nouvelles toutefois, les joueurs ont toujours fini par retrouver les clefs. Personne n'est jamais resté enfermé...