Une œuvre de Pierre Soulages, ayant appartenu au poète et ancien président du Sénégal Léopold Sédar Senghor sera vendue aux enchères samedi à Caen. Un tableau estimé entre 800 000 et 1 million d’euros.
C'est un tableau qui dormait à Verson dans la demeure des époux Senghor. Il était la petite madeleine du président Sénégalais. Il l'avait acquis quand il a épousé sa muse normande, Colette.
Colette Senghor s'est éteinte, à l'automne 2019, dix-huit ans après son mari. Alors que la succession affronte les aléas de la crise sanitaire et que leur maison n’est toujours pas vendue, le tableau de Pierre Soulages va donc être mis aux enchères, en distanciel, après inscription sur le site de Caen Enchères.
"Solène Lainé et Jean Rivola, commissaires-priseurs vendront aux enchères le 23 janvier 2021, l’œuvre titrée Peinture 81 x 60 cm, 3 décembre 1956, choisie et acquise par Léopold Sédar Senghor dans l’atelier de l’artiste en décembre 1956", explique Caen Enchères.
Une oeuvre qualifiée "historique" vendue dans le cadre de la succession de Colette Senghor. Le tableau est estimé entre 800.000 et 1.000.000 d'euros.
Pierre Soulages a une cote mais là nous avons aussi la provenance : celle de la collection de Léopold Sédar Senghor qui bien évidement ajoute une plus-value subjective mais importante à cette œuvre.
Cette oeuvre est aussi le reflet d'une histoire en noir et blanc, celle d'une forte admiration réciproque entre deux grands monuments de l'art d'après guerre. L'un maniait le verbe, l'autre le pinceau. Senghor aimait faire le parallèle entre leurs deux disciplines. Pour lui, l'une et l'autre avaient un dénominateur commun : le bras.
La première fois que je vis un tableau de Pierre Soulages ce fut un choc. Je reçus au creux de l’estomac un coup qui me fit vaciller, comme le boxeur touché qui soudain s’abîme. C’est exactement la sensation que j’ai éprouvé à la première vue d’un masque « Dan ». Ce n’est pas un hasard, les peintures de Soulages me rappellent toujours les peintures, voire les sculptures négro-africaines. C’est le même mépris de toute vaine élégance, la même évidence qui s’impose, la même saisie du spectateur à la racine de la vie.
Peinture 81 x 60 cm, 3 décembre 1956
Intitulé « Peinture 81 x 60 cm, 3 décembre 1956 », ce tableau a été acheté par le poète peu de temps avant son mariage avec Colette, elle était déjà à ses côtés. Ils sont allés le chercher dans l'atelier du peintre.
L’œuvre est caractéristique du travail de Pierre Soulages dans les années 50, avant qu'il passe à l'outrenoir, cet univers imaginé par l’artiste en 1979 lorsqu'il a pris le virage du noir complet. Dans ces larges aplats verticaux et horizontaux, une peinture totalement abstraite, Léopold Sédar Senghor y voyait un oeuvre fondamentale
« Soulages est incontestablement un de nos grands peintres classiques », écrit-il dans la revue des Lettres Nouvelles en 1958. « On sent à travers ses tableaux, un tempérament riche et généreux, un homme du XXe siècle, qui porte en lui le sens tragique de notre destin.»
Ce tableau a quitté le domicile du président Sénégalais pour de rares occasions notamment pour l'exposition Soulages de 1974 au Musée Dynamique à Dakar où il qualifia le peintre de" poète des temps nouveaux".
Peu de chance que ce tableau reste en Normandie, des acheteurs potentiels étrangers se sont déjà manifestés venant de Suisse et d'Allemagne. Aujourd’hui âgé de 101 ans, le peintre français voit le prix de ses toiles s’envoler. Il y a deux ans, à Paris, l’une d’elles a atteint les 9.6 millions d’euros.